Sorti en janvier 2016 puis repris après un succès notoire par Musicast au début du printemps, il nous fallait poser nos oreilles sur les 42 Grammes des poids des âmes combinées de Lacraps et Mani Deïz.
Si vous croyez être malins, avec dans les mains ou devant l’écran un 42 Grammes pas encore lancé, en faisant le parallèle entre la symbolique des âmes et du film d’Iñárritu (Birdman, The Revenant), ravalez votre plume. Plus que consciente, la démarche est assumée, argumentée. Le dernier album de Lacraps, intégralement produit par Mani Deïz veut hanter le game français d’un esprit sorti d’outre-tombe. Boom bap, textes conscients et univers indé, voire underground : si la méthode n’est pas prête de disparaître, elle est louable car contraire à la tentation de la notoriété facile. En même temps, Lacraps, en bon vétéran, n’est pas né de la dernière pluie.
Blackjack
Sous un violon déchirant, un coup de téléphone. La référence est calée, l’esprit des 42 Grammes de Lacraps et Mani Deïz est posée sur la moitié du poids, « 21 Grammes ». L’âme du producteur et du MC se combinent, s’élèvent et se joignent comme sur l’artwork du projet. Le poltergeist ainsi créé est prêt à trouer les plafonds des chaumières. L’ensemble des interludes, avec « Interludes 1 & 2 » et le « 105 Grammes » de DJ Rolex, servent de fil rouge autant que de chutes de studio. Pour le reste, il faudra fouiller du côté des thématiques transversales à l’album.
Nostalgie, fréquences basses, vieux samples et beat qui kick façon bits écrasés : Lacraps a le mérite de ne pas tergiverser lorsqu’il est l’heure d’annoncer la couleur. 42 Grammes s’ouvre sur « Tracklist (feat. DJ Rolex) ». Les racines sont générationnelles, les références sont placées, « la rime souple et sombre ». En bon représentant de la nostalgie des 90’s Kids et de la Golden Era, le boom bap est servi à la sauce Wu-Tang et RZA par Mani Deïz. Les pratiques de l’époque sont respectés, jusqu’au bout. Pour retrouver une prod’ qui met des cuts de morceaux old school dans ses propres refrains, il faut se lever tôt. On pensait que c’était une espèce en voie de disparition, mais ce n’est pas parce que l’Homme ne le voit pas que le tigre ne se cache plus dans la jungle.
Petit à petit, dans la ligne directrice de l’album, Lacraps ajoute âme après âme, 21 grammes à la fois, de la chair pour que se repaisse le MPC qui grogne en fond. On arrive rapidement à un « 42 Grammes » éponyme, dans un flow brut et une écriture sans fioritures. Un représentant se doit de remettre les pendules à l’heure : c’est fait ici. « Va falloir écouter plusieurs fois le track pour comprendre les lyrics », nous dit-on, dans une attitude qui rappelle la récente posture de Fixpen Sill. Loin d’être une mauvaise référence, les directions se joignent. Là où Lacraps et Mani Deïz prennent toutefois leur distance, c’est dans un certain refus des sirènes contemporaines, le front vers l’horizon jusqu’à ce que les vers les dévorent. Dans la droiture de la posture, il y a malencontreusement mais forcément de l’excès.
Il y en a un peu plus, je laisse ?
Sur les 21 titres que composent 42 Grammes (décidément, le symbolisme est appuyé), on pourrait unsans auc doute se concentrer sur le travail de Mani Deïz autant de fois que la tracklist possède d’entrées. Toujours simple et droit au but, le producteur rend la nostalgie au goût du jour. L’exemple le plus probant se trouve sans doute avec « Double Dragon », où le vieux cuivre jazzy n’est qu’une grosse feinte pour un break que n’aurait pas renié le duo de Mobb Deep et une basse qui fait bien chier les voisins. Le tout, saupoudré de références que les moins de 20 piges ne peuvent pas connaître.
Puisque Lacraps a comme terrain de jeu 21 pistes polies et préparées, il ne peut que se consacrer à l’écriture. Là encore, les textes (géo)politisés et les sous-textes sociaux semblent presque anachroniques, au temps des lyrics emplies d’opportunismes des Niska et Gims. Les amateurs se régaleront des « 63 Grammes », « Sous Pression », « Loin d’être inséré » et « Sans Titre », quand bien même l’écriture oscille entre métaphores et punchlines al dente et passages à la limite du candide. Parfois dans la même mesure. Tant pis si la forme n’est pas vouée à être gravée dans les tablettes, à la manière des IAM ou NTM. Mieux vaut être comparé à Akhenaton qu’à MZ, même si « Insurgés », dernier titre du projet, s’éloigne un peu des 90’s avec une production un peu plus contemporaine et un flow mis à jour lui aussi. Le résultat est loin d’être affreux, même si on est à deux doigts de la faute technique sur le refrain, à un auto-tune près. Allez, l’important, c’est le propos.
Quitte à s’installer dans le fauteuil du rap conscient, aussi galvaudé ou même imprécis qu’en soit le terme, on retrouvera la fameuse auto-réflexion sur la plume avec « Ecoute-Moi » et « Mon Ressenti ». Le dernier, au passage, offre une bonne définition, si ce n’est du personnage Lacraps en entier, au moins de l’album : « Je raconte ma vie sur un tas de sample qui font chialer ». Côté invités, on retrouve évidemment des coups de projecteurs au label maison, LaClassic. Voilà les productions de DJ Rolex, aux sous-texte quasiment Fabe-esque sur « R.A.P. » façon nihiliste agressif. Surtout, les Melis, Starline, Sega et Nedoua permettent d’huiler 21 rouages parfois un peu redondants. Pas négligeable.
On ne pourra jamais reprocher à Lacraps et Mani Deïz de ne pas avoir mis toute leur âme à la création de ce 42 Grammes. Si le titre peut paraître léger, c'est bien avec toute la lourdeur de l'écriture de la vieille école du rap français que le MC et le producteur livrent à une cible bien particulière un bol de son loin de n'être qu'un réchauffé. Dommage seulement que la plume se fasse parfois fébrile, et que les thématiques deviennent rapidement redondantes. On est un peu durs, mais l'exigence n'existe que face aux pures intentions.
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