Dans la tête de Kay

D’ici peu de temps les Etats-Unis envieront le Canada en terme de poids lourds artistiques ! Entre The Weeknd, Alessia Cara, Tory Lanez, Drake et toute sa bande de Ovo Sound, la liste est très longue, et Kaytranada vient s’y ajouter.

Affûté d’une oreille de maître, Louis Kevin Celestin de son vrai nom, a tout juste 15 ans lorsque son frère l’initie au logiciel de musique. Comme la plupart, Kaytranada a fait ses premiers pas sur la toile de soundcloud, les amateurs de perle musicale n’ont pu échapper au jeune prodige qui a accroché notre ouïe grâce à ses remix géniaux. Non seulement le jeune homme place la barre haute en reprenant des morceaux comme « If » de Janet Jackson, « Don’t Mess With My Man » de Lucy Pearl, « Golden » de Jill Scott ou encore « Why Don’t Fall In Love » de Amerie, mais il s’impose rapidement grâce à son jeu de travail unique. Il réussi a ramener tout le blues, le jazz, la soul, le r&b, le hip-hop et autres variantes vers son électro à lui, et il le fait sans tomber dans le cliché en éclipsant presque les originaux. Bien que le jeune producteur de 23 ans sorte son premier album studio, il est loin d’être un débutant comme on pourrait le croire puisque son premier projet date de 2010 et que par la suite il a enchaîné avec plusieurs mixtape et EP sous le pseudonyme de Kaytradamus. Du coup ce premier LP intitulé 99.9%, éveille notre curiosité sur son contenu, d’autant plus que comme on le mentionnait lors de la sortie de « Glowed Up« , le jeune homme a récemment révélait être gay au média Fader. On se demande donc si cet album est un cri du coeur poussé par les émotions du jeune artiste ? Quoiqu’il en soit, si ça ne l’est pas, Kaytranada nous invite tout de même a entrer dans sa tête en poussant la porte d’entrée représentée par l’artwork de la cover de 99.9%. Une illustration porté par les éléments tribales et colorés de l’espagnol Ricardo Cavolo à ne pas confondre avec l’artiste peintre argentin Ricardo Cavallo.

Dans la tête de Kay

On entre dans cet opus avec « Track Uno » qui se traduit facilement. On marche sur un sol qui ne nous est pas inconnu et que l’on aime beaucoup, on ressent d’emblée toute la magie que nous dévoile Kay à travers un instrumental dépourvu de voix, qui nous permet de rester concentrer et de mieux s’insérer dans son univers musical qui offre un bridge scintillant et nous sors du décor à la dernière minute. Toujours en solo, Kaytranada enchaîne sur une intro boom clap qui donne le ton, le rythme est lent et sec, on a tout simplement envie de l’écouter en solo dans son cocon afin d’apprécier l’enchaînement majestueux procuré par le précipité de percussion qui résonne jusqu’au dernières secondes de ce « Bus Ride« . On entre dans une autre pièce et là surprise ! On tombe sur Craig David, qui est le premier invité vocal de cet album. C’est un vrai plaisir de retrouver la voix cendrée de l’interprète britannique qui se marrie parfaitement bien avec le travail du canadien. Mais malgré ce mélange subtil la mélodie ne nous convainc pas, le tempo est mou et ça manque de prise de risque. On ne s’attarde pas dessus mais on retient tout de même cette fusion qui pourrait aboutir sur d’autres sons, et pourquoi pas un album en commun.

Palette de couleurs

On accroche instinctivement avec « Together« , entraînant et audacieux, ce son est porté par la signature musicale de Kaytranada d’autant plus que le combo entre le feeling d’Aluna George et le flow de Goldlink amène une touche impeccable à ce morceau qui nous entraîne sur la piste. On peut dire que le musicien de 23 ans choisit bien ses collabos en découvrant la piste 5. Avec « Drive Me Crazy » on peut affirmer qu’il s’adapte à tout le monde mais surtout que le monde s’adapte naturellement à lui et son rythme. Cet échange de bon procédé fait naître ce featuring avec Vic Mensa, à la fois psychédélique et vaporeux, la balade continue alors que l’on pensait atteindre la fin à trois minutes et trente trois secondes. En effet on change de cadre dans ce même organe où le producteur ne fait qu’étaler ses talents avant de nous faire basculer sur « Weight Off » accompagné du groupe de Toronto, BADBADNOTGOOD. De l’habilité en veux-tu ? En voilà ! Kaytranada, nous embarque dans les hauteurs de son mantra en seulement 2 minutes 36, brodant du fil doré et lumineux autour d’un tissu singulier et dénué de voix. On enchaîne avec « One Too Many« , un titre groovy qui nous réveille sans nous sortir pour autant de nos rêves. On reconnaît immédiatement la pâte de Kaytranada et on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec son remix de « Arm Jam » de Azealia Banks, à la différence que c’est Phonte au micro qui apporte sa touche en transformant cette prod’ en petit bijou parfait pour une soirée animée.

Dans un ton bien plus Jazz on vient se poser sur « Despite The Weather« , on croirait presque qu’elle est uniquement instrumentale jusqu’à l’écoute des coeurs qui apportent plus de profondeur au morceau, toutefois on ne crachera pas dans la soupe même si on ne flaire pas la perle, on passera donc rapidement notre chemin.

Kay se dévoile timidement

Toujours bloqué dans l’esprit de Kaytranada, on arrive sur la piste la plus expressive et sans doute la meilleure collaboration de cette année. En découvrant tour à tour Kaytranada puis Anderson .Paak on s’était mis à fantasmer sur une possible association des deux. Il faut croire que notre prière a été entendue puisque les deux meilleures révélations (selon nous) et surtout les plus talentueux de leur génération ont unis leur pouvoir de mélomane sur un titre qui les définit parfaitement bien. Le duo brille intensément et s’offre même le privilège de donner deux temps à ce « Glowed Up » qui ralenti en dernière partie laissant place à un accord mélancolique, sans doute l’état d’amertume de Kay, comme on le mentionnait lors de la sortie du clip.

Finalement, il n’en dira pas plus

Pas encore prêt à dévoiler entièrement l’aspect morose de sa boîte crânienne, il faut croire que Kaytranada est plus un mec de la fête et de la bonne humeur puisqu’on le retrouve sur un titre qui résume parfaitement le contexte. « Breakdance Lesson N°1 » est parfait pour les clubbeurs fans d’électro intergalactique ! Saupoudré de funk, on ne peut s’empêcher de laisser notre corps s’exprimer sur ce travail remarquable nuancé d’un bridge à la note entêtante qui squatte dans un effet de va-et-vient à partir de la 32ème seconde jusqu’à la fin. On s’ambiance en continue sur le morceau qui suit, « You’re The One » donne la cadence dès les premières secondes et on reconnait de suite la voix de Syd the Kid, la membre du groupe californien The Internet. Après avoir travaillé ensemble sur le titre du band, « Girl« , voilà qu’ils remettent le couvert sur un son plus punchy comme on les aime. Le timbre amolli et humide de la chanteuse de 24 ans provoque un émoi de frisson et d’ivresse sur ce beat électro, secouer par des maracas. Les secousses nous embarquent vers le douzième extrait et c’est inconsciemment que l’on glisse sur « Vivid Dreams« . Entre samba et house, c’est l’artiste River Tiber qui prend le relais au micro sur cette mélodie au faux air brésilien et qui nous retient sur la piste jusqu’à la quatrième minute. On rebondit sur « Lite Spots » qui est accompagné d’un clip très sympa et 100% électro. On s’enjaille d’office sur cette prod’ samplé du titre « Pontos De Luz » de la chanteuse brésilienne (décidément) Gal Costa. Dans la vidéo, Kaytranada est en compagnie de ce qui semble être une autre de ses créations, son robot. Ce dernier a le rythme dans la peau ou du moins dans son circuit électronique et il permet à son créateur de nous démontrer ses talents de danseur. Toujours en rythme on découvre « Leave Me Alone« , bien que la production soit très plaisante et super efficace, ça reste du déjà vu et ça rappelle le fameux remix de « If » de Janet Jackson.

Du banal de bon goût pour le producteur DJ, on retient particulièrement la voix de Shay Lia qui s’associe véritablement bien avec lui, d’autant plus qu’on la retrouve dans un registre plus dynamique à l’inverse de « 3 month » un autre de leur featuring. Kaytranada reste actif jusqu’au bout, et clôture son projet en s’entourant du crew suédois spécialisé dans la musique électronique, Little Dragon. Un choix judicieux qui referme proprement ce chapitre à l’image même qu’il a débuté, aérien et psychédélique.

En soi, 99.9% offre un rendu propre, le jeune homme nous propose un condensé positif sans trop jamais se dévoilé flirtant avec une limite qu'il semble s'être fixée. Il choisi parfaitement bien les personnes avec qui il souhaite travailler et le résultat est super car les fusions sont ingénieuses et nous laissent pas le temps de s'ennuyer. Cependant notre curiosité n'est pas assouvie et cet album n'est pas non plus une surprise puisque l'on retrouve le même type de production que l'on connait déjà. En revanche son style est unique et c'est exactement ce qui le définit, bien qu'on aimerait en apprendre davantage sur ses autres facettes qu'il se garde de révéler. Le jeune génie hésite encore et ne repousse pas ses limites comme on l'espérait, il laisse ses artistes prendre plus de risque que lui, le grand saut n'est donc pas pour cette année, mais ça ne nous empêchera pas de savourer sans modération cet album dansant en attendant qu'il nous en donne plus sur son prochain projet.

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