Cet album, le dernier des Mothers of Invention sorti du vivant de Frank Zappa, fut publié 9 mois avant sa mort alors que cette captation en public au Royal Festival Hall de Londres date d'octobre 1968, c'est-à-dire entre les enregistrements de "Uncle Meat" et "Hot Rats".
FZ tenait à publier cet album car il représentait bien l'ambiance de dérision et de créativité qui régnait lors de leurs concerts. Il montre à quel point un concert des Mothers pouvait être drôle, étrange et excitant. Remettant en question le concept même de concert, le disque propose deux aspects différents du groupe ... la première demi-heure étant une comédie théâtrale débridée mise en musique, la seconde, un concert de jazz-rock-fusion dans le plus pur style.
Le propos de la partie théâtrale est satirique, en partie improvisée et nous montre à quel point un concert des Mothers pouvait être visuel à l'époque. Dans ce cas-ci, il s'agissait d'une performance unique lors de leur tournée européenne de cette année 1968. Le résultat est intéressant dans le sens où on y entends les fortes réactions du public aux frasques des protagonistes. On sent bien que cela devait être fascinant d'assister à cette représentation, bien qu'il est parfois difficile de savoir à quoi le public réagissait.
Le résumé de la pièce proposée par FZ parle de la vie d'un groupe de rock, une conflit éclatant en leur sein concernant la direction musicale à prendre, trois d'entre eux protestant sur le choix que fait le quatrième de jouer de la musique électronique loufoque et déjantée, et s'en vont former un groupe "bien discipliné" composé d'eux-mêmes et de 14 membres de l'Orchestre Symphonique de la BBC ... robotisés. Motorhead veut rejoindre le groupe, mais comme il ne sait pas lire la musique, il est rejeté. Il essaie alors de se faufiler par d'autres moyens. Jimmy Carl Black déclarant qu'ils ne s'enverront jamais en l'air en jouant pareille musique, il leur propose de jouer du rock 'n' roll et de boire de la bière. A partir de là, l'histoire devient de plus en plus étrange, on retrouve e.a. Jimmy déguisé en Hendrix et Roy Estrada en pape.
La musique, sorte de musique de chambre contemporaine, proposée par les quatorze musiciens accompagnés à certains moments par les Mothers, bien qu'intéressante - on peut effectivement y percevoir des clins d'oeil à Mozart (Prologue), à Debussy (Holiday in Berlin), à Stravinsky (Undaunted, the Band Plans On), à Chopin (Agency Man) ou à Schönberg (Epilogue) - ne suffit malheureusement pas à rassasier notre imagination. On a beau traduire les dialogues entre les acteurs, l'absence de leur vision sur scène peut installer une certaine frustration dans notre esprit, une grande partie de l'aspect humoristique étant perdue. Cette partie de concert est donc intéressant du point de vue historique , mais n'intéressera que le vrai fan.
La seconde partie du concert, proprement musicale, et directement connecté à la première partie, apporte un contraste intéressant. Constituée de morceaux emblématiques ou de morceaux en gestation du groupe, ils s'enchaînent admirablement et sont tous interprétés dans leur version instrumentale. La qualité de la prise de son est acceptable pour l'époque.
Tout l'intérêt du disque reposant sur le fait que c'est un des rares concerts enregistré des Mothers dans cette formule comprenant Ian Underwood, Bunk Gardner et Motorhead aux saxophones, Roy Estrada à la basse, les deux batteurs Art Tripp et Jimmy Carl Black et Don Preston au piano électrique, sans oublier Frank Zappa à la guitare électrique et au chant, ainsi que les 14 membres de l'Orchestre Symphonique de la BBC pour la première partie. Alors, même si l'on peut entendre certains de ces morceaux dans des versions plus intéressantes ailleurs, nous ne bouderons pas notre plaisir, car il est toujours intéressant d'écouter la liberté d'expression qui se dégage d'un morceau comme "King Kong", d'entendre une version instrumentale de "Let's Make the Water Turn Black" est unique en soi, de découvrir une version longue de " Pound for a Brown", est une curiosité, et j'en passe, comme cette première mouture ludique de "Transylvania Boogie", ou ce final déchaîné de "The Orange County Lumber Truck" ... et surtout qu'il existe des albums en public bien pires dans leur discographie. Ce disque est finalement un beau témoignage de leur folie créatrice et de leur puissance sur scène.