Tout commence dans un souffle. Le souffle du micro, lui, introduit la scène. On pourrait tout aussi bien se trouver dans une petit cabane isolée et sûre alors que la bourrasque fait rage à l'extérieur. Un homme d'âge mur nous parle, dans un parler japonais énigmatique. La communication nous est impossible, mais pas l'entente ; rien ne nous empêche de nous laisser bercer par cette voix qui semble porter en elle une sagesse ancestrale. Des pages qui se tournent, quelques notes de guitare sèche se risquent à envahir timidement le paysage. Un coup dans le micro ; on comprend bien vite qu'il s'agit d'une maladresse d'enfant car une petite voix se met à parler, bavarde comme un bambin, la bouche remplie de question. Le morceau « Airplane » est ainsi lancé dans un climat d'infinie tendresse, entre gratouille folk, inserts sonores (vocaux et autres) et le délicat chant de sirène pudique d'Ichiko Aoba. Lorsqu'en fin de morceau se fait entendre ce qui ressemble à un coffre en bois s'ouvrant ou se rabattant, on se prend à interpréter tout cela comme la reconstitution d'une scène d'enfance. La voix d'un père, celle d'une Ichiko bébé – paraissant tirée d'un enregistrement de plus modeste qualité, des sons éparses que la chanteuse aura associé à ces souvenirs... et le coffre de se refermer sur cette parenthèse sépia. On l'aura compris à ce stade : 0% sera intime ou ne sera pas.
Le dévoilement est d'autant plus prenant qu'il s'agit d'un live, qui se déploie d'un seul bloc, tout en sobriété. Qualité d'autant plus appréciable au sein d'une scène musicale japonaise pour le moins hystérique – toujours à métisser tel genre avec tel autre dans d'atypiques bouillabaisses timbrées. Quoiqu'en termes d'hybride Ichiko Aoba n'est pas en reste ; si sa recette donne un rendu très pur, le plus souvent guitare-voix, il s'agit tout de même d'une folk-woman japonaise versant dans la chanson brésilienne ! Les paroles sont bien nippones – quoique je pense discerner sur 機械仕掛乃宇宙 (à vos souhaits) deux ou trois lignes de portugais – mais le style semble tout droit sorti d'une épure acoustique de bossa nova. La chanteuse se fond dans ce style comme si elle y était née (ou tombée dedans étant petite, à la rigueur) et délivre perle après perle, nous racontant des histoires dont on ne bite que pouic si ce n'est que c'est fichtrement émouvant, s'autorisant même des passages carrément expérimentaux – mais là encore, une expérimentation paisible et délicate.
Mais j'ai peur de poursuivre... Ce disque et cette musique mériteraient amplement leur chronique à dix mille caractères pour en parcourir les contours et s'extasier sur chaque accord. Sauf que même maintenant, alors que je n'ai fait qu'entrouvrir le coffre en bois qu'est 0%, j'ai déjà l’impression d'en avoir trop dit ; le mot suivant pourrait être le mot de trop, qui briserait la magie de l'album. Je préfère m'arrêter là, en espérant que cela vous donne envie d'aller explorer par vous-même ce qui aura constitué certes mon disque favori de 2014 (écouté en 2015), mais bien plus encore.
Chronique provenant de XSilence : http://www.xsilence.net/disque-9458.htm