John Zorn – Masada – Alef (1994)
Restons dans l’année mille neuf cent quatre-vingt-quatorze avec cet autre totem. Voici le groupe Masada dans sa conception acoustique, un quartet de feu qui laissa derrière lui dix albums enregistrés en studios, celui-ci est le premier, le dernier de cette série du « Masada Songbook » sortira en quatre-vingt-dix-huit. Quelques « Live » suivront pour que vive la légende.
Que des numéros « un » à chaque poste, John Zorn compose et joue du saxophone alto, c’est un musicien exceptionnel, dommage qu’il laissera trop souvent cette qualité dans sa poche pour ne se consacrer qu’à la composition, il faut dire qu’être surdoué oblige parfois à des choix. Le fait qu’il soit musicien et soliste à part entière ne fait que rajouter à l’attractivité de la formation Masada.
Dave Douglas joue de la trompette, on connaît la qualité de ce grand musicien, précisément c’est ce qui a présidé à ce choix, et on en prend plein les oreilles au fil des albums. Justesse et précision sont les maîtres-mots ici mais, au-delà de la technique, qui est immense, c’est l’engagement du musicien en entier dans le projet qui interpelle, l’âme ici déborde.
Il y a également Greg Cohen à la basse, il suffit de consacrer un peu d’attention à son jeu pour comprendre son rôle central, la subtilité du son dans les détails, ce petit plus qui s’ajoute à chaque fois, une façon de magnifier le son. Mais c’est le grand Joey Baron qui surprend le plus sur cet album, cette façon de s’impliquer dans cette musique, d’en devenir parfois leader et d’orienter le jeu de façon définitive, avec autorité, peut surprendre.
Mais s’attarder sur chacun est presque une faute car c’est le quartet en entier, dans sa composition et ses rouages, qui est une machine exceptionnelle. C’est incontestablement un quartet de jazz dans toute sa dimension, on ne peut rien enlever à cette noblesse, mais il faut ajouter cette importante influence de la musique klezmer ici, ce mélange d’influences de musiques orientale et d’Europe de l’est, qui offre ce petit plus, parfumé et exotique, bien que s’y cache également les larmes d’un peuple souffrant, réunissant étroitement joie et tristesse en même temps, un message qui s’adresse directement au cœur.
Alors cet album est éblouissant, entre virtuosité assumée et diversité des styles, tantôt des ballades nostalgiques ou tristes, tantôt des airs vifs et trépidants et, parfois, un entre-deux savant, ce qui domine c’est la diversité et l’éblouissement lors des solos, ou lors de l’impro collective qui jamais ne s’égare.
La maîtrise est en effet parfaite, chaque folie est désirée mais contrôlée, c’est ce mélange unique qui fait de cette musique ce qu’elle est : l’une des plus belles, tout simplement !