Je n'ai jamais été très friand des groupes comme Faces ou Free, ou plus généralement de toute cette veine de blues / hard / boogie rock britannique du début des Seventies. Je ne dirai pas que je suis au-dessus de ça, ce serait vraiment hypocrite de la part de quelqu'un qui se complaît dans la pop la plus racoleuse de cette époque et d'autres. C'est simplement une musique qui ne me parle pas. Elle se veut festive et enjouée, mais je ne peux pas m'empêcher de trouver que sa jovialité sonne creux, comme un ivrogne aux yeux rougis qui continuerait à prétendre que l'alcool n'est pour lui qu'un plaisir et pas une addiction.
Ronnie Lane, c'est une toute autre histoire. Déjà à l'époque des Faces, ses ballades toutes simples et touchantes (Debris, Glad and Sorry, Ooh La La pour n'en citer que quelques-unes) étaient une bouffée d'air frais bienvenue entre les tiédasses excursions bluesy de Rod Stewart et Ron Wood. Ce n'était pas dit qu'il aurait de quoi tenir un album entier sur ses seules épaules, mais cet Anymore for Anymore est une brillante démonstration du contraire. Oh, certes, le boogie est toujours là, mais il y a une différence de taille : ça ne sonne plus du tout creux. Il se dégage une grande sincérité de la voix un peu rauque de Lane, dont Rod le Mod et ses poumons d'acier ne pourrait que rêver. Les compositions sont solides, qu'il s'agisse des ballades ou des titres plus enjoués : difficile de ne pas entonner le refrain de How Come? dès la première écoute, ou de ne pas taper du pied sur l'amusante Chicken Wired. Les influences sont beaucoup plus diversifiées que le simple blues rock : on trouvera çà et là des traces de folk (The Poacher) et de country (Bye and Bye). Derrière Lane, le groupe Slim Chance tient la baraque, avec un orgue souvent majestueux et un saxophone qui s'invite aux meilleurs moments, comme sur la déchirante Don't You Cry for Me. La ballade The Poacher, sans doute la meilleure chanson du lot (et un hit dans un monde meilleur), se paye même le luxe d'une orchestration classique qui lui fait toucher du doigt le grandiose.
Mais il s'agit un peu d'une exception : dans l'ensemble, ce disque est incroyablement humble, et profondément chaleureux. L'adjectif « pastoral » me vient spontanément à l'esprit pour le décrire. Il fait naître des visions nostalgiques d'une campagne paisible, d'un temps jadis qui n'a sans doute jamais existé. En ce sens, on pourrait le rapprocher des meilleurs Kinks, mais même Ray Davies n'a jamais aussi bien chanté la ruralité, enfant de Londres qu'il était. Quand Ronnie chante "I'll fix the wheel and oil the axles to see another day", on sent que lui parle d'expérience.