Noël, comme Pâques et la Pentecôte, est fêté en musique durant trois jours consécutifs à Leipzig à l’époque de Bach. Évacuons tout de suite le faux problème de "l’Oratorio de Noël". Ce n’est pas un oratorio, mais une suite de six (magnifiques) cantates destinées aux trois jours de Noël, au Nouvel An, au dimanche suivant le Nouvel An et à l’Épiphanie. Nous en parlerons donc de façon séparée.
Pour ce premier jour de Noël, ce ne sont pas moins de six cantates qui sont proposées à notre émerveillement. Seul le Nouvel An propose un choix aussi massif, nous en reparlerons mardi prochain.
La plus ancienne est la cantate BWV 63, "Christen, ätzet diesen Tag" (Chrétiens, gravez ce jour), créée à Weimar le 25 décembre 1713 (Bach n’a que 28 ans et il l’a écrite pour montrer son savoir-faire) et reprise ensuite à Leipzig lors de sa première année comme Cantor, 1723. Dans l’aria n° 3, Bach remplaça alors le hautbois concertant par un orgue, mais cette aria est bien plus belle avec un hautbois, leçon que suivent aussi bien Helmuth Rilling que Karl Richter, puisque la Neue Bach Ausgabe donne les deux versions. L’orchestration, comme il se doit, est festive : pas moins de quatre trompettes, des timbales et trois hautbois.
Le 25 décembre 1724 fournit, bien sûr, une cantate de choral, la BWV 91, "Gelobet seist du, Jesu Christ" (Loué sois-tu, Jésus Christ), sans trompettes mais avec deux cors en plus des trois hautbois volontiers associés au climat de Noël.
En 1725, c’est la BWV 110, "Unser Mund sei voll Lachens" (Que notre bouche soit emplie de rires), à l’orchestration particulièrement fournie : trois trompettes, timbales, deux flûtes traversières, trois hautbois, un hautbois d’amour, un cor anglais (hautbois de chasse), un basson. Les amateurs de Bach auront, bien sûr, reconnu dans le chœur d’ouverture l’ouverture de la 4e Suite en Ré majeur BWV 1069.
La cantate de l’année 1728, BWV 197a, "Ehre sei Gott in der Höhe" (Gloire à Dieu au plus haut des cieux) ne nous est parvenue que d’une façon très fragmentaire et mutilée : tout le début, les trois premiers numéros et la quasi-totalité du 4e manquent.
La cantate du 25 décembre 1734, BWV 248 I, "Jauchzet, frohlocket, auf, preiset die Tage" (Exaltez, jubilez, allons, glorifions ces jours) est la première de ce qu’on a pris l’habitude d’appeler improprement l’Oratorio de Noël. Comme ses sœurs des jours suivants, elle réutilise de nombreux mouvements déjà écrits, pour la plupart de cantates profanes, ce qui prouve une fois encore une idée que j’ai déjà souvent évoquée, l’absence de différence que fait Bach dans le traitement des émotions, qu’elles soient "sacrées" ou pas. Le début, particulièrement joyeux et entraînant, est justement célèbre. Les beaux enregistrements sont légion, y compris par des chefs qui ne se sont pas spécialisés dans ce répertoire, je pense en particulier à Eugen Jochum, le maître incontesté de Bruckner, mais aussi de Bach.
Enfin, c’est probablement le 25 décembre 1740 qu’est créée, peut-être à Cracovie plutôt qu’à Dresde, cas unique dans l’œuvre de Bach, la cantate (en latin) BWV 191, "Gloria in excelsis Deo" (Gloire à Dieu au plus haut des cieux). Elle réutilise trois mouvements du Gloria de la fabuleuse Messe en si mineur BWV 232, sans aucun doute la plus extraordinaire œuvre religieuse jamais composée. Mais tous nos lecteurs l’auront reconnue. Helmut Winschermann l’avait placée dans ses dix "cantates de fête" qui ont illuminé tant de dimanches de ma jeunesse car il a marqué tout ce qu’il a touché du sceau de la perfection. Hautboïste de formation, Helmut Winschermann est né dans la Ruhr le 22 mars 1920. Il va donc avoir 99 ans. Merci pour l’océan de beauté que vous nous avez offert au cours de votre très longue vie, Monsieur le Professeur !
Pendant des années, les cinq disques vinyle contenant "dix cantates de fête" ont embelli mes dimanches. La réédition en CD comprend trois cantates supplémentaires et un cinquième disque, magnifique, consacré entièrement à des pages chorales tirées de diverses cantates : 73 minutes de bonheur supplémentaires !