Bells (Live)
6.4
Bells (Live)

Live de Albert Ayler (1965)

Cet album est assez singulier dans sa forme. Une seule face est enregistrée et il existe de nombreuses pochettes de couleur différentes. Il n’est pas très aisé de s’y retrouver, certaines indiquent mono, mais l’album est en stéréo, d’autres indiquent stéréo et d’autres n’indiquent rien, parfois l’album est translucide, parfois non, le label peut également être présent ou manquant… Quoiqu’il en soit il faut insister sur le rôle important d’ESP, capable d’envisager un tel projet, commercialement très risqué. Ce label, s’effaçant entièrement devant la liberté artistique, représente une aventure absolument unique et exceptionnelle qui a permis à des musiques souvent audacieuses, malgré des augures commerciales parmi les plus sombres, de rester gravées dans le vinyle.


Cet album est l’enregistrement public d’un concert qui s’est déroulé un premier mai à Town Hall sous l’égide de la maison de disque ESP, cinq semaines après l’assassinat de Malcom X. Albert Ayler est à la tête d’une nouvelle formation dans laquelle seul Sonny Murray fait figure de rescapé. Le frère d’Albert, le trompettiste Don Ayler fait son entrée dans le quintet, un troisième souffleur est également présent, Charles Tyler à l’alto, et la basse est confiée à Lewis Worrell.


La présence de Don est non seulement motivée par ses qualités de musicien, mais également par l’appui dont il a bénéficié de la part de la mère des deux frères, une mère respectée mais assez « étouffante », Albert sera un bon fils…


Lewis Worrell a d’abord joué du tuba avant de choisir la basse. Il a fait parti du New York Art Quartet et a enregistré sur leur premier album pour ESP, rien d’étonnant donc à le voir participer à cette session live aux côtés d’Albert, plus tard on l’entendra à nouveau, mais aux côtés d’Archie Shepp. Charles Tyler, à ma connaissance, participe à sa première aventure discographique, il enregistrera un album pour ESP, un peu plus tard, en tant que leader.


Bells est un brûlot free, composé de deux parties distinctes, d’inégales longueurs. L’ensemble dure environ dix-neuf minutes, ce qui peut paraître peu pour un album, il est sans doute probable qu’à sa sortie, la durée seule a dû constituer un frein aux ventes, et pourtant l’essentiel est ailleurs. La musique ne se mesure ni en kilo, ni en durée. Il y a sans doute plus de musique sur cette seule face que dans certaines discographies complètes…


D’emblée l’attaque est rugueuse, le quintet nous envoie une gerbe sonore improvisée de laquelle émerge, chacun à leur tour, les souffleurs. Sonny Murray, à droite, frappe tambours et cymbales, martelant fiévreusement les peaux et cinglant le métal, agitant de l’intérieur la masse sonore informe et bouillonnante. Est-ce sa voix que l’on entend à l’arrière? Mélopée hypnotique provenant, c’est sûr, d’un rite vaudou, manifestation de la montée irrépressible de la transe. A gauche Lewis Worrell triture avec vélocité les cordes de sa basse qui vrombissent en de trépidantes vibrations. Charles Tyler s’extirpe de la masse informe, les esprits et les démons s’échappent, puis c’est au tour d’Albert de libérer ses fantômes. Tout est tempête et tumulte. Puis anches et cuivres assemblent leurs souffles, l’air se mélange, les humeurs fusionnent et le cri jaillit des corps transis. Retour à la rythmique seule qui apaise la braise, avant qu’elle ne rougisse à nouveau sous les derniers assauts des souffleurs.


Bells, partie deux, s’ouvre sur un superbe solo d’Ayler, le vibrato s’hypertrophie et le lyrisme nous envahit, la section rythmique élargit l’espace. Puis, tout à coup, on entend une citation de Holy Spirit, avant de glisser ensuite vers un air de musique folklorique, le tout entrecoupé de passages très free au ténor, passant ainsi du chaos le plus désorganisé à la fanfare lénifiante. Quelques secondes plus tard nous voici glissant vers un précipice insondable, transportés par le tourbillon du ténor qui cherche, fouille, pénètre avant d’esquisser à nouveau un thème flottant, sans ancrage, au-dessus d’abysses figurés par les sons de la basse et de la batterie qui se diluent mollement…


Un album puissant, généreux, très free, simple et sincère. Curieusement d’une grande évidence. Réticents, ce n’est pas l’album qui vous réconciliera avec Ayler…

xeres
9
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Albert Ayler, Du Free Jazz sans concession! et "Ils voyagent en solitaire..."

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le 9 mars 2016

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