Cela faisait trois ans que Tarja Turunen ne nous avait pas offert de nouvel album. La soprano finlandaise n’est certes pas restée inactive durant ce temps et nous a offert tour à tour un live avec son groupe classique Harus et un autre live correspondant cette fois-ci à sa carrière rock, le bien nommé Act I, celui-ci ayant d’ailleurs immortalisé deux nouvelles chansons jouées sur cette tournée, Never enough et Into the sun, nous faisant miroiter le tant attendu prochain opus. Aujourd’hui, il est enfin arrivé. Verdict.
Si en live, Never enough laissait présager quelque chose dans la lignée du précédent album What Lies Beneath, la version studio, qui a servi de teaser de l’album, laissait entrevoir un changement avec ses quelques expérimentations industrielles inattendues et notamment un final saturé et décoiffant. Mais c’est surtout la première piste de l’album, Victim of ritual, qui par sa position autant que par son statut de premier vrai single, est là pour nous faire comprendre que l’album sera infiniment plus complexe et audacieux, à l’image de la chanson. Intro reprenant les percussions du Boléro de Maurice Ravel, couplets posés suivant le rythme, pré-refrain a capella et explosion heavy du refrain, les ingrédients sont là pour faire de cette chanson un titre original à bien des égards, ponctué par la suite par les belles envolées lyriques de Tarja. Ce titre n’est finalement pas sans rappeler Anteroom of death, elle aussi en position d’ouverture sur What Lies Beneath, pour son côté décalé et théâtral ainsi que pour ses contrastes de rythme et de « heaviness » entre couplets et refrains, mais introduit également une dimension assez épique très appréciable. En définitive, il reste comme son homologue un OVNI dans l’album, mais n’en reste pas moins très bon (et un choix de single pour le moins audacieux).
La suite de l’album s’enchaîne et on perçoit très bien les différentes « couleurs » annoncées dans le titre de celui-ci, à travers l’éventail des différentes ambiances explorées. 500 letters se présente comme un titre sympathique, dans la lignée de What Lies Beneath, mais se dote de quelques inspirations exotiques que l’on retrouvera sur de nombreux titres de l’album. Qu’on se le dise, Colours In The Dark nous fait beaucoup voyager et certains titres invitent clairement à l’évasion et au rêve, comme Mystique voyage (qui est chantée en anglais, espagnol et finnois, en plus d’avoir un titre à consonance française), Deliverance ou encore Medusa. A noter que cette dernière est un duo avec Justin Furstenfeld de Blue October, qui clôt l’album de très belle façon à la manière d’un Crimson deep, bien que la voix masculine me semble ne présenter que peu d’intérêt et donc dispensable (une version full Tarja existe en B-side et me paraît encore plus grandiose). Par ailleurs, un souffle épique s’ajoute parfois à ces ambiances exotiques, comme sur le titre Deliverance, qui se présente décidément comme une pièce maîtresse de l’album.
D’autres fois s’invitent des ambiances un peu étranges et angoissantes, le « dark » dans les couleurs, comme l’illustre parfaitement le break torturé de Lucid dreamer (un grand coup de cœur), ponctué de morceaux de phrases passés à l’envers, de cris et gazouillis de Naomi, la fille nouvelle née de Tarja, ainsi que… une mélodie qui ne nous est pas inconnue ! Et là, on se rend compte que, non contente de s’être inspirée du Boléro de Ravel sur Victim of ritual, Tarja continue dans sa lancée et s’inspire ici de la suite n°1 de Peer Gynt d’Edvard Grieg, en parvenant à convertir le morceau Morning mood, originellement évocateur de bonne humeur, en morceau tortueux et effrayant : une réussite ! On retrouve également la deuxième partie de cette suite, Åse's death, avant de repartir sur un refrain magnifique et efficace.
Les ambiances angoissantes se retrouvent également sur Darkness, qui n’est autre qu’une reprise de Peter Gabriel. Il semble que c’est devenu une tradition chez Tarja, chaque album nous gratifie d’une reprise adaptée à sa façon. Darkness s’insère ici parfaitement dans l’album tout en apportant une touche expérimentale et industrielle, notamment avec l’utilisation du vocodage sur les refrains qui peut s’avérer assez déroutant de prime abord (on penserait presque à un duo). Le titre est riche en ambiances différentes (angoissantes mais parfois rassurantes) mais le tout reste très cohérent et ne dénature pas avec le reste de l’album. Tout ceci en fait probablement la reprise studio la plus réussie de Tarja à ce jour.
Enfin, parmi toutes ces ambiances, les passages puissants et heavy ne sont pas en reste et sont bien là pour nous rappeler qu’on écoute un album affilié au metal, avec une mention spéciale à Neverlight, clairement taillée pour le live, et qui incite dès les premières notes de l’intro à s’adonner à un bon headbang.
Là où My Winter Storm nous offrait de belles ballades et pièces mystiques et atmosphériques mais pêchait un peu plus sur les chansons rock, plus clichées et plus dispensables, What Lies Beneath avait su nous proposer des chansons rock plus efficaces (parfois même un peu trop), et au contraire, certaines ballades un peu moins marquantes. Ici, l’orientation générale est clairement plus artistique que « commerciale », piochant les bons éléments dans les deux précédents opus tout en les sublimant. Le résultat est plus riche, et on compte d’ailleurs un grand nombre de titres longs – chose inhabituelle chez Tarja – avec des relents progressifs et expérimentaux, lorgnant également du côté des musiques de film (rêves, voyages, aventures…), ce qui constitue une prise de risque que j’apprécie et admire tout particulièrement ! On peut le dire, aussi cliché que ça soit : « c’est l’album de la maturité ». Avec Colours In The Dark, Tarja nous dévoile le meilleur d’elle-même et nous livre ce qui pourrait bien être tout simplement son meilleur album à ce jour.