Après la sortie conjointe du maxi Pacific et de l'album Ninety à l'hiver 1989, 808 State atteint la stratosphère des charts pop au Royaume-Uni. Passé d'un statut assez négligé dans la presse musicale, la scène de Manchester explose en cette fin d'année 89, portée par des groupes aussi fous que Stone Roses, Happy Mondays, Inspiral Carpets mais aussi les sempiternels New Order qui remontent en haut des charts avec leur Technique bien rodée. Surfant sur la déferlante conjointe de ce mouvement Madchester qui se répand partout dans le pays et touche même l'Europe, le quatuor de membres de 808 State (Graham Massey, Andrew Barker, Martin Price et Darren Partington) s'embarque donc dans une année 1990 riche en nouvelles expériences.
Le groupe compose et produit l'album d'un rappeur local, MC Tunes, nommé The North At Its Heights sur lequel les singles "The Only Rhyme That Bites" et "Tunes Split The Atom" continuent d'alimenter le succès de 808 State qui en assure la promo avec le rappeur. Vient ensuite le moment du premier véritable show live du groupe, qui arrive en première partie des Happy Mondays au fameux G-Mex de Manchester le 24 mars. Le groupe monte alors un show très visuel, avec danseurs à la Bez, lasers, lightshow et sono massive. Le concert est un véritable succès, ce qui donne des envie de tournée au groupe, qui se plaît donc à emmener son show "rave" aux quatre coins de l'Angleterre avant de s'exporter en Europe, aux États-Unis et même au Japon. En septembre de la même année, le groupe entre au studio Revolutions de Manchester pour enregistrer son nouvel album. Certains titres de ce futur disque ont déjà étés enregistrés et sont sortis en maxis cette année 90 : l'hymne rave "Cubik", le très aérien "Olympik" et le tout premier extrait officiel du futur album, "In Yer Face" qui sera le nouveau succès énorme de 808 State.
Le nouvel album, nommé Ex:El, sort en mars 1991. Le groupe surprends tout le monde avec un véritable long format (13 titres pour une durée totale d'environ une heure) et un album à la production rutilante et très homogène, porté par quelques singles explosifs. Si l'album mix de "Cubik" était déjà présent sur la compilation UTD State 90 (destinée au marché américain, sorti fin 1990), il se retrouve ici en bonne position, aux côtés du "In Your Face", le bien nommé morceau rave, son breakbeat syncopé, sa grosse basse fat et ses envolées lyriques qui préfigurent le big beat du milieu des années 90. Si il y a d'ailleurs bien un mot qui résume Ex:El, ce serait bien celui-ci, "préfigure". A la jonction étroite entre acid-house, rave, techno, ambient et jazz fusion, ce disque s'écoute bien davantage comme un ensemble de titre finement produits que comme une vulgaire compilation techno comme il en sortait déjà dix par semaine en 1991. 808 State préfigure l'usage de certains samples qui deviendront omniprésents par la suite dans la musique électronique des années 90: le fameux "we are the music makers" (extrait de la première adaptation de Charlie et la Chocolaterie) qui sera ensuite récupéré par Aphex Twin, des samples du célèbre My Life In The Bush Of Ghosts signé par le duo David Byrne/Brian Eno mais également des sons et dialogues de Blade Runner... En plus de ça, le duo ne s'offre non pas un, mais deux guests singer : tout d'abord le désormais habitué Bernard Sumner, alors en vacances de New Order, qui pose sa délicate voix sur la balade "Spanish Heart". Ensuite, la chanteuse du groupe Sugarcubes, la pas-encore-célèbre Bjork, qui a appelé Graham Massey après avoir entendu l'album Ninety et recherchait alors des collaborateurs. La chanteuse met ses divines vocalises sur deux morceau : le jazzy "Qmart" et "Ooops", titre qui annonce les titres que Massey produira par la suite pour Bjork pendant sa longue carrière solo.
De manière générale, il est difficile de jauger chaque morceau à part, dans la mesure ou ceux-ci s'imbriquent parfaitement les uns dans les autres. De l'ouverture quasi hip-hop du disque avec "San Francisco" jusque la fermeture avec les envolées mélodiques de "Olympik", on passe dans de nombreux styles et les influences sont nombreuses. On note tout de même plusieurs titres qui ressortent. Hormis ceux qui comportent les vocalises de Sumner et Bjork, on peut citer "Lift", vaguement inspiré de Kraftwerk, aux progressions rythmiques lumineuses martelées sur un tapis de nappes synthétiques optimistes. Dans le même style, la très percussive "Techno Bell" et son break mélodique d'anthologie ou le plus sombre "Nephatiti", construction alambiquée de samples sur fond de musique proto trip-hop. On compte aussi quelques titres plus faiblards, comme "Leo Leo" ou "Lambrusco Cowboy", judicieusement placés entre deux titres plus entrainants pour ne pas couper la dynamique de l'ensemble.
De manière plus générale, 808 State signe avec Ex:El un album homogène, qui témoigne non seulement de l'ambition de ses géniteurs, mais également des évolutions extrêmement rapides de la technologie musicale. Le groupe qui porte le nom d'une boite à rythme Roland est donc bien situé pour rendre compte de ces évolutions. Suffit de juger la qualité des constructions rythmiques et mélodiques entre les titres de Quadrastate et ceux de Ex:El pour se rendre compte non seulement que si les auteurs se perfectionnent, le matériel sonne "mieux" : par exemple, les boites à rythmes commencent enfin à sonner comme de vraies batteries (même si il y a encore des efforts à faire). C'est dans tous les cas avec ce disque que 808 State s'affranchit complètement de son étiquette "acid house" appliquée par une presse musicale trop feignante pour se pencher complètement sur la musique du groupe, certainement jugée trop "plastique" par certains. C'est un jugement qu'on retrouve encore de nos jours, occultant complètement le fait que le groupe a pourtant servi de modèle aux artistes "encensés" tels qu'Aphex Twin, Autechre ou Chemical Brothers. Pourtant, sans le travail de 808 State effectué avec des disques tels que Ninety ou Ex:El, ces artistes n'auraient jamais pu atteindre la notoriété qu'on leur connaît à présent. La musique pop "alien" (par ses côtés alambiqués et novateurs) de cet opus reste cependant la meilleure saillie dans le paysage musical britannique de ce début de décennie 90, aux côtés du Frequencies du duo L.F.O, un disque du même acabit, Bjork et Sumner en moins. Si Ex:El restera hermétiquement fermé à certaines oreilles, il reste au moins extrêmement important pour une chose : c'est sa participation sur ce disque qui donnera définitivement envie à Bjork de faire de la musique en solo. Concernant 808 State, leur notoriété locale avec ce disque ne sera que plus grande et leur permettra d'explorer de nouveaux horizons qui leur étaient encore interdits auparavant...
La suite au prochain épisode : Gorgeous