Comme tous les chefs d’œuvre, How to Be Ever Happy parle de vie et de mort, qui ne sont que les deux faces d’une même pièce jetée dans le néant.
Avec « Moutaintops », les Danois nous font redécouvrir la puissance originelle de l’émerveillement. Le mouvement créateur de cette ballade pop psychédélique rend l’auditeur à son tour créateur de la beauté qui l’a inspirée. Il s’agit de s’élever, de prendre du recul. « Magic Clouds » nous présentait la magie comme voie sacrée, le reste de l’album démontre que le salut est immanent et doit s’extraire des forces naturelles de ce monde.
Les deux bijoux que sont « Scroll Down » et « Go Out in Joy » sont clairvoyants de mélancolie et prodigues de grâce. Ils synthétisent l’essence de cet album en nous apprenant que le bonheur passe peut-être par la souffrance et inversement. Les lignes mélodiques qui scintillent à nos oreilles portent en elles la dynamique de leur propre anéantissement. Chaque aspérité de guitare électrique est une liberté arbitraire prise à la face du Ciel.
Certains morceaux n’ont rien à envier aux plus belles pièces des Beatles de la période Rubber Soul et Revolver, dont l’influence se ressent. Le génie de Ray Manzarek est également ressuscité à travers cet orgue limpide. Le folk-rock des Byrds et le mélodisme festif des Beach Boys ne sont pas loin non plus. Beaucoup d’influence sixties donc, mais on sent tout de même que les moulinettes de l’indie rock et du rock psyché contemporain (postérieur au Brian Jonestown Massacre) sont passées par là. La guitare acoustique, sereine et étonnamment affirmative ici ou là, rappelle ainsi parfois les toutes aussi belles créations d’un groupe de la décennie antérieure qui se situe dans une veine similaire (si ce n’est un peu moins psyché) : les Belges de Girls in Hawaii.
La flûte, instrument des évadés aventureux, occupe une place de choix dans la palette instrumentale du quintette. Elle est rassérénante et fluide. Le xylophone fait jaillir quelques tonalités cristallines de ce monde florissant. Les oiseaux de « Scurvy » le peuplent mais qu’en feront les humains ? La gravité, au sens physique et métaphysique, est annoncée sur les hauts plateaux de « Shine Away » et se concrétisera dans le caverneux « Figure It Out ». L’ascension de la montagne fait entrevoir des fleurs, des vivants et des larmes.
Point n’est besoin de faire autre chose que rêver pour se laisser étourdir. La clé des champs est la clé des âmes. L’innocence de « Snag » et de « This Time », le premier étant salvateur et le second un peu plus carnavalesque, offrent de courts répits dans cette échappée. Halasan Bazar ménage son monde. Lorsqu’il fait mine de se la jouer Nick Drake, il est tel le Pink Floyd de « Pigs on the Wing » : méfiez-vous des nuages trop clairs.
La rythmique tantôt sautillante tantôt enlevée fait la part belle aux suspensions. La basse vrombit quand la batterie s’efface derrière les percussions. Là-dessus, vous en aurez de toutes les couleurs. Le groupe ne se contente pas de taper du tambourin et de secouer les maracas mais va jusqu’à réhabiliter les castagnettes : désuétude assumée et prodigieusement efficace.
Le break instrumental de « Tin Foiled » a quelque chose d’enivrant. Les chœurs ont un caractère féérique. Contrairement à ce que leur nom semble indiquer, ces Nordiques aux influences éclectiques ne sont pas là pour semer le chaos. Ils sont plutôt là pour créer du sens et distiller de la joie en rassemblant les pièces éparpillées en chemin. « On est juste pauvres et un peu philosophes, mais au fond, on est des gens très heureux », confie leur leader Fredrik Eckhoff.
Tout la face A est exceptionnelle. L’album serait un chef d’œuvre absolu si la face B parvenait à maintenir le niveau. Un esprit tatillon pointera quelques longueurs, quelques ficelles qui semblent avoir été déjà tirées, mais ce sont aussi ces imperfections qui font le charme des premiers albums. Car oui, Halasan Bazar fait partie de ces groupes qui font mouche du premier coup. Ils atteindront d’ailleurs un autre sommet en 2017 avec Burns.