http://sfsorrow.fr/index.php/il-barritz-1975/
L'argent fait-il le bonheur ? Philippe Debarge vous aurait sans doute répondu « non ». Ce n'est pas sa faute : il n'a pas demandé à naître héritier d'un immense empire pharmaceutique, lui ! Non, tout ce qu'il veut, c'est devenir une rock star. Alors, bien sûr, grâce à ses milliards, il peut mener la vie d'un vrai play-boy sur la Côte d'Azur, avec le manoir à Saint-Tropez, les belles voitures et tout, il peut sortir avec France Gall et devenir l'un des noceurs les plus légendaires des Sixties, mais ça ne lui suffit pas. C'est de musique dont il rêve.
Grâce aux Pretty Things, son rêve s'est concrétisé à la toute fin des années 60. Entre le dandy aux ambitions artistiques et le groupe en manque chronique d'argent, le courant passe à merveille. Le premier a l'occasion d'assister aux premières loges au processus de création d'un disque, d'y participer même, tandis que les seconds ont l'occasion de faire joujou avec du matériel dont ils n'osaient même pas rêver en temps normal et de poursuivre leur évolution musicale, à mi-chemin entre S.F. Sorrow et Parachute. Les chansons issues de ces séances, de petits bijoux pop, resteront inédites pendant quarante ans ; peut-être que Debarge n'est pas arrivé à tirer les bonnes ficelles pour qu'elles soient publiées, peut-être que ça ne l'intéressait plus. Allez savoir.
Le deuxième acte prend place quelques années plus tard, au milieu des Seventies. Avec l'aide des Pretties Phil May et Wally Waller, Debarge monte son propre groupe, composé de musiciens d'outre-Manche : le guitariste Ed Deane, le claviériste Kevin McAlea (tous deux ex-Bees Make Honey), le bassiste Nigel Griggs (futur Split Enz) et le batteur Tim Reeves (ex-Mungo Jerry). Confortablement installés à Biarritz, les Il Barritz ont l'occasion de donner quelques concerts, notamment en première partie des Sparks à l'Olympia (en 74 ou 75 ?) et au premier festival punk de Mont-de-Marsan en 1976, avant de se dissiper comme s'ils n'avaient jamais existé. Internet reste remarquablement peu bavard à leur sujet. Seule trace de leur existence : ce disque homonyme, produit par May et Waller, sorti dans l'indifférence générale chez la branche française d'Atlantic en 1975, un 45 tours qui en reprend deux chansons sorti la même année, et une apparition sur le Véritables variétés verdâtres de Nino Ferrer en 1977. (Si vous aimez le jeu des six degrés de séparation, le guitariste de Nino, Mickey Finn, a joué avec Phil May au sein des Fallen Angels vers la même période.)
Vous vous en doutez, j'ai appris l'existence d'Il Barritz via les Pretty Things : en l'occurrence, par leur brève mention dans le livret du CD reprenant les chansons de 1969. Je n'en attendais pas grand-chose, pour être franc : on parle souvent des perles oubliées, mais la plupart du temps, un album est oublié pour la bonne et simple raison qu'il est… oubliable. J'ai donc eu droit à une belle petite surprise en tombant sur cette collection de chansons qui, sans être extraordinaires, sont tout de même très agréables et mémorables, avec de beaux morceaux de guitare par-ci par-là et une performance vocale de qualité de la part de Debarge, dans un registre plus hargneux que sur les chansons de 1969 (leur présence à un festival punk n'était donc pas si absurde que ça). Un seul titre fait le lien avec cette époque, le sautillant Vivant et mort qui arrive vers la fin du disque.
Les paroles semblent aussi beaucoup plus terre-à-terre, les deux sujets dominants étant les filles et les voitures. Certains titres les abordent de manière purement festive (L'amour chante, Je tombe) et ce sont ceux qui fonctionnent le moins à mon sens ; d'autres textes, plus insidieux, me semblent plus intéressants, en particulier le Fille de quinze ans qui ouvre l'album sur une tonalité menaçante, presque perverse, bien servi par une guitare grasseyante, ou l'étrange confession de L'Estafetteur.
Il Barritz sera-t-il réédité un jour, comme tant d'autres obscurités du temps béni des vinyles ? Je ne peux que l'espérer : ce n'est certainement pas celle qui le mérite le moins, et ce serait un bel hommage à Debarge, le golden boy rêveur qui nous a quittés dans les années 90.