Je suis plus ou moins sûr qu'il y a de bonnes chansons là-dedans, et c'est bien ce qui me navre le plus : elles sont tout simplement inaudibles, noyées dans les canons de la production des années 80 dans ce qu'ils ont de plus détestable, et s'il est un son qui ne convient pas à Graham Nash, ce vieux compagnon de route, c'est bien la froideur inhumaine des boîtes à rythme et des synthétiseurs. Si vous ne faites pas d'allergie violente à ces sonorités, ou si vous adulez l'Anglais de CSNY (on a vu des cultes plus bizarres), quelques titres peuvent faire office de plaisirs coupables (disons Keep Away from Me, Don't Listen to the Rumours et Glass and Steel, mais autant choisir ses maladies vénériennes favorites) ; sinon, passez votre chemin. (22 mars 2012, 4/10)
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Pourquoi diable continué-je à revenir à ce disque alors que toutes les tares que j'ai exposées dans ma critique il y a bientôt deux ans de cela sont toujours aussi évidentes à mes oreilles ? Oh, je ne suis pas sourd à ses pires problèmes, certes non : le pitoyable excursus reggae de Chippin' Away bataille avec les crissements d'ongles sur un tableau noir dans la catégorie « pénible », et la niaiserie sans bornes de Sad Eyes reste impardonnable même à un Graham Nash dont c'est pourtant le fonds de commerce. Mais cela ne fait que deux chansons sur dix, et les huit autres, je les retrouve avec, oserai-je l'avouer ? un certain plaisir. Bonté divine, j'ai toujours eu le chic pour retenir des bribes de paroles des chansons que j'écoute assez rapidement, mais ça m'inquiète vraiment d'être capable de fredonner la quasi-totalité de Over the Wall ou Don't Listen to the Rumours sans même avoir à réfléchir. Est-ce vraiment à ça que je veux consacrer l'espace pourtant limité de mon cerveau ?
Je suppose que tout est affaire d'empathie, au fond. Il faut que j'avance dans la biographie de Nash (je la picore à Waterstones entre deux cours, trop fauché pour l'acheter) pour voir s'il parle de ce disque et de son état d'esprit à l'époque. Sous les synthés et les boîtes à rythme, on devine un artiste inquiet, voire carrément au bord de la paranoïa, persuadé qu'on dit du mal de lui dans son dos (Don't Listen to the Rumours) ou qu'on lui sert des tissus de mensonges (Innocent Eyes). Oh, il tente encore de changer le monde, le pauvre idéaliste (Over the Wall), il a encore un peu foi en l'avenir (Newday et son refrain stupidement irrésistible), mais pour combien de temps encore ? La tentation de se refermer sur soi-même, avachi devant son poste de télévision dans une ultime bouffée d'égocentrisme (coucou Amused to Death de Roger Waters), elle est bien présente et bien malin qui saura y résister (Keep Away from Me, Glass and Steel). Et la fin de l'album tombe comme une chape de plomb : I Got a Rock, simple comme une comptine d'enfant, rythmée comme une marche militaire, implacable comme un hiver nucléaire. « Je veux un futur », nous dit Graham Nash en 1986. L'Histoire a bien voulu qu'il en ait un. Mais en aurons-nous un, nous autres ? (11 octobre 2013, 5/10)