L'innocence
7
L'innocence

Album de Kid Wise (2015)

Un retour dans l'univers de notre enfance

Avant toute chose, il est bon de remettre les choses dans leur contexte. Kid Wise est un groupe de six amis toulousains âgés d’une vingtaine d’années (voire moins). Le groupe se fait rapidement remarquer au sein de la nouvelle scène pop/rock française avec la sortie de titres comme « Hope » ou « Funeral », tous deux présents sur leur second EP : « Renaissance ». Leur credo : la jeunesse et son innocence. Cette sincérité juvénile se retrouve à la fois dans leurs mélodies et les textes d’Augustin Charnet, instigateur du projet initial de Kid Wise. Ainsi, les six compères qualifient leur musique de « pop sauvage et juvénile », à laquelle on pourrait rajouter le qualificatif très vague de « progressif ». Loin des stéréotypes de la musique actuelle, les « Kids » revendiquent une approche plus expérimentale de la musique qui n’est pas sans rappeler l’esprit du rock progressif des années 70, tout en y ajoutant une touche de fraicheur et de modernité. Et il faut le dire : ça fait du bien !

Mais que vaut le premier album du groupe : « L’innocence » ? Décrit comme une histoire à part entière par le groupe, une œuvre à écouter en entier pour en comprendre la dimension, elle décrirait selon moi le chemin émotionnel traversé par la jeunesse. L’album s’ouvre avec le morceau « Ocean », un titre à l’ambiance inquiétante, dévoilé quelques semaines avant la sortie de l’album et accompagné d’un court métrage magistral, renforçant cette atmosphère angoissante et inéluctable, qui évoque les peurs de l’enfance pouvant nous suivre et même nous rattraper dans notre vie d’adulte. Je m’arrête ici un moment pour évoquer les différents vidéo-clips réalisés par le groupe pour ses chansons « Ocean », « Hope » et « Forest », qui font partie eux aussi de l’œuvre et qu’il ne faut pas négliger. Kid Wise fait en effet partie de cette nouvelle génération d’artistes n’hésitant pas à travailler sur plusieurs terrains artistiques pour créer un œuvre à part entière (on pensera ici au collectif Fauve notamment). Le titre annonce d’ores et déjà le style expérimental de l’album avec une introduction piano/voix, progressivement accompagné par le reste des instruments jusqu’à son final explosif emmené par les riffs de guitare et la voix d’Augustin Charnet, cette voix si particulière qu’on peut détester ou aimer (j’ai choisi la deuxième option) mais qui en tout cas ne laissera pas indifférent.

Après cette entrée en matière, on passe au titre « Forest », évoquant selon moi une certaine mélancolie et des besoins d’évasion chez la jeunesse. On notera ici une utilisation réussie (pour une fois) du vocoder sur la voix du chanteur à la fin du morceau. Ici, l’aspect pop progressive est moins important même si toujours présent. La troisième chanson est le titre phare du groupe : « Hope » et son rythme endiablé. On surprend son corps à remuer tout seul au rythme de la batterie. Que reprocher à ce titre ? Honnêtement j’ai cherché et je n’ai pas trouvé. Le clip aussi est incroyable avec ses images magnifiques et des acteurs grandioses. Franchement ce morceau est une véritable claque et je ne m’en lasse pas. Construit autour du thème du désespoir amoureux et de l’obsession pour l’être aimé, il évoque parfaitement ce sentiment étrange qui se situe entre l’espoir et le désespoir (ça ne s’invente pas) que connaissent beaucoup d’amoureux blessés. « Miroir » titre mélancolique sur le thème de l’amour, mais partagé cette fois-ci, est mené par une guitare impeccable et est l’un des morceaux les plus réussis de l’album selon moi. Après le chant en anglais proposé jusqu’ici, on a le droit ici a deux couplets en français qui nous font regretter qu’il n’y en ait pas plus dans cet album. Cette chanson marque la fin de la première partie de l’album, qui a lieu vers la moitié du morceau.

En effet, on passe ici à une mélodie plus douce où le piano prend une place importante et finit par nous amener tranquillement vers le morceau suivant, « Blue » une berceuse, je ne vois pas quel autre nom lui donner, dont la voix d’Augustin Charnet évoque celle d’un père chantant son amour pour son enfant afin de l’endormir. « Child » relance l’album après cet interlude. Chanson pleine d’espoir pour le futur, sur l’importance de la jeunesse qui s’apprête à diriger le monde « We’ll own the world / We’ll be the rise and fall ». La chanson laisse la part belle au violon en milieu de morceau, avec un solo accompagné par la suite par la guitare.

Vient ensuite la chanson la plus expérimentale et la plus « violente » de l’album : « Ceremony ». Un morceau épique et sombre, se construisant en trois parties. La colère de la jeunesse est évoquée ici, son envie de liberté et d’expression, mais aussi sa rage d’être bridée et contrôlée. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le groupe invite ici un jeune musicien iranien, Mohammad Mousavi auquel il laisse une plage de trois minutes sur le morceau pour s’exprimer. Le groupe a déclaré dans une interview qu’ils avaient été touchés par le travail de cet artiste, censuré et contrôlé par le régime iranien qui « impose de ne jouer que de la musique religieuse ou une sorte de pop un peu mauvaise sponsorisée par l’État ». Le groupe a découvert le travail de ce jeune iranien via un texte où il exprimait sa peine de ne pas pouvoir s’exprimer librement à travers son art. Après ce titre très expérimental, mais aussi très réussi, le groupe revient à un style plus classique, pour lui, avec la chanson « Winter ». À la manière de cette saison, le morceau évoque le sentiment de solitude et de désespoir. Musicalement, j’ai trouvé qu’il ressemblait beaucoup à « Child », dans une version plus sombre. Avant dernier titre de l’album, « L’Innocence » est selon les mots même du groupe, la « pièce charnière qui vient concentrer toutes les différentes émotions, les esthétiques, les énergies plurielles de […] l’album. ». Et en effet, le duo vocal entre le chanteur et une amie du groupe est accompagné par une mélodie reprenant le son général de l’album. Enfin l’album se clôture par le titre instrumental, bien qu’accompagné par des parties d’un discours du philosophe Gaston Bachelard, qui résume la « démarche et l’éthique » du groupe. Ce morceau typiquement progressif clôture idéalement l’album sur une note au départ très mélancolique qui laisse enfin la place à une seconde partie donnant la part belle aux guitares et à des solos endiablés. Du moins, il est tout de même suivi par un remix du titre « Hope » qui aurait été largement dispensable selon moi.

Comment ce sent-on après l’écoute de cet album ? Et bien d’abord, comme tout bon album progressif et expérimental de ce genre, on se dit qu’il faut le réécouter une seconde fois pour se faire un avis. Bien sûr, j’ai préféré certaines chansons par rapport à d’autres (j’ai moins aimé « Child », « Winter » et « L’innocence » qui ne sont pas assez originales comparés au reste de l’album, selon moi) et je pense que le remix n’apporte rien de plus à l’œuvre, mais mon avis sur cet album est qu’il est réussi tout simplement. Le groupe réussir à nous faire voyager dans cet univers qui leur est cher : celui de la jeunesse. Paradoxalement, ce thème est abordé avec une maturité exemplaire, à la fois dans la musique et dans les textes. Les sentiments évoqués, les questionnements abordés, sont parfaitement retranscris sur ces deux fronts et on ne peut que les ressentir à nouveau en tant qu’auditeur. Kid Wise nous fait voyager dans son univers. L’album rappelle à certains moments « The Division Bell » de Pink Floyd mais le groupe réussit à se forger son propre monde dans lequel on est emportés, ramenés à notre enfance et notre adolescence. Ce voyage fait du bien et on en ressort chamboulé et conscient d’avoir affaire à un grand groupe. On peut à nouveau se dire qu’en France on trouve des formations talentueuses et originales, capables de créer et d’assumer leur propre musique, ce qui manquait cruellement depuis quelques années, mais que l’on voit réapparaître au sein de cette nouvelle génération. Merci les Kids !
RomainFournier
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le 27 févr. 2015

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Nowhere  Man

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