Après deux ans et demi de concerts, Revolver est de retour en studio pour enregistrer douze nouveaux titres réunis dans un deuxième album. Ce Let Go signifie « lâcher prise », ce qui peut sembler paradoxal compte tenu de l'application studieuse des musiciens qui l’ont enregistré. Cependant, cela reflète bien le déclin que l’on pouvait craindre de la part d’un groupe qui est entré dans la cour des grands avec un petit chef d’œuvre et qui doit affronter le dilemme suivant : poursuivre dans le même style au risque de décevoir ou changer au risque de déplaire. Ils font un compromis entre ces deux options, mais l'équilibre de Music for a While était si délicat que la balance penche du côté de la seconde. Ils prétendent être partis à la recherche de « l’énergie primitive, instinctive et spontanée » en se laissant aller. La promesse est alléchante mais le résultat plutôt décevant.
Revolver a délaissé l’option tout-acoustique qui faisait le charme de Music for a While pour introduire un peu d’éclectisme. Ils livrent dès la première chanson des montées-descentes de synthé qui semblent tout droit tirées de l’excellent « Bliss » de Muse. Le problème, c’est que c’est quasiment la même mélodie qui revient un peu plus loin, sur « When You’re Away » ; dans d’autres circonstances, cela aurait pu passer pour un subtil effet de rappel, mais ici c’est plutôt redondant. Grisé par les concerts et enthousiasmé par l’idée d’être péchu, le groupe a perdu de son inspiration en même temps que de son côté tranquille. Au détour d’une transition piquée à Simon & Garfunkel, ils reprennent en un peu plus rock les mêmes ingrédients qui avaient rendu délicieux leur premier album : structure basique des morceaux, chœurs savamment placés et boucles de guitare qui chatouillent agréablement l’oreille. Mais cela devient vite prévisible, et parfois ennuyeux. Le final trop cacophonique de « Cassavetes », par exemple, donne l’impression que le groupe n’a plus autant de plaisir à jouer de la musique et que le remplissage du disque n’est plus du temps volé mais une formalité.
Ce qui contribuait à la qualité de Music for a while, c’était la diversité des émotions que la galette suscitait. Ici, désespoir et frustration sont les principales convoquées. Plutôt intéressant d’un point de vue artistique, le livret présent dans le CD illustre le dénuement total d’un individu minuscule dans son environnement, quel qu’il soit. A regarder ces images, on ne s’étonne pas que la naïveté d’un splendide « Leave Me Alone » soit remplacée par l’étrangeté d’un inquiétant « Parallel Lives ». Mais l’ensemble n’est pas assez bon pour soutenir un parti pris de ce genre – d’ailleurs, ce n’est pas ce que semble chercher le groupe.
Tout n’est pas à jeter dans cet album. Ainsi, « The Letter » est une très bonne chanson qui permet de retrouver un peu d’authenticité et le sentiment que Revolver est toujours perdu hors de notre espace-temps. S’ils vivaient en même temps que nous, la chanson se serait appelée « The Texto ». Parmi les autres moments agréables, on ne dédaignera pas le très prenant « Brothers », la douce « My Lady I » ni le folkeux « 49 States ». En revanche, sur un titre comme « Wind Song », on se demande si le trio n’a pas oublié les règles les plus élémentaires de l’esthétique poétique : le refrain est trop guttural pour ne pas gâcher une mélodie qui avait par ailleurs du potentiel. Quant aux paroles, elles frôlent parfois la platitude : « We are drawing parallel paths. But parallel lines never cross, no ? ». L’auditeur risque de décrocher avant d’être surpris par le côté Syd Matters de la dernière ballade « Let Go ».
Avec Let Go, Revolver s’institutionnalise avant l’âge, en quelque sorte. Le lâcher-prise, c’est une voie de facilité qui leur a fait perdre à la fois de leur côté « classique » et de leur côté « classieux ». Parallèlement, ils ont sans doute acquis plus d’aisance, mais au prix d’un charme rompu sur une bonne partie des morceaux de cet album. Chose impensable avant la parution de ce deuxième opus, on peut maintenant comparer positivement le groupe avec d’autres formations françaises telles que Phœnix et Pony Pony Run Run. Etait-ce une fatalité ?
Chronique de Music for a While :
http://www.senscritique.com/album/Music_for_a_While/critique/33571874