Cet album a été enregistré le 19 février 1966, entre New Thing at Newport et Three for a quarter, one for a dime (pour être rigoureux, une partie d’On this night a été enregistrée après le festival de Newport). Il succède donc à un autre Live, le nom d’Archie Shepp accolé à celui de Coltrane a assuré un certain succès commercial et Shepp gagne en notoriété. Il se doit par contrat de faire deux albums par an, ce qui lui assure des revenus réguliers et un confort non négligeable, ses relations avec Bob Thiele sont alors excellentes, elles connaîtront un froid lorsque celui-ci, en 1969, constatera qu’Archie enregistrera une série d’albums pour BYG…
Mais pour l’heure tout va bien, Roswell Rudd, ami fidèle, est aussi le signataire du très bref Keep Your Heart Right qui ouvre l’album, à la façon d’un clin d’œil pré-bop … La version de The Lady Sings The Blues qui lui succède est absolument superbe, elle transpire d’émotion sous les envolées des duettistes Archie Shepp et Roswell Rudd qui échangent, dialoguent, serpentent en duo tout au long de ce blues arrangé par Herbie Nichols…
Archie se met au piano pour Sylvia, accompagné par la section rythmique, il ne maîtrise pas encore l’instrument aussi bien qu’il le fera un peu plus tard, mais dans le registre de la ballade sentimentale, il s’en sort très bien, le toucher et le rythme suffisent à véhiculer l’émotion.
The Wedding est basé sur un “preaching” d’Archie Shepp, dans la lignée de Scag ou , un peu plus tard, de Malcom semper Malcom. Ce récitatif prend sa racine dans les traditions ancestrales venues d’Afrique, il n’est donc pas étonnant de les retrouver avec constance chez celui qui déclara : « Je ne suis pas Américain, je suis Afro-Américain et je tiens que ce soit clair pour toujours ».Le preaching atteint ici la perfection dans le phrasé et la déclamation, accompagné par la seule basse de Lewis Worrell.
Wherever June Bugs Go est une composition d’Archie Shepp de plus de dix minutes, c’est la plus longue de l’album. Sur un tempo assez lent elle offre à chacun un espace d’expression, Roswell Rudd s’y montre gourmand, à son avantage, entre lyrisme et déchirements bluesy. Beaver Harris fait montre de ses immenses qualités de coloriste, avec une musicalité incomparable, tout en s’affichant métronome si le besoin s’en fait sentir. La basse se fait ici particulièrement mélodieuse et répétitive. Par ailleurs il semble bien que les bassistes jouent à tour de rôle sur cet album, mais peu souvent ensemble.
Pour ce qui est d’Archie Shepp, gardons le meilleur pour la fin, c’est en effet sur le dernier titre, In A Sentimental Mood, la reprise d’Ellington, qu’il sort le grand jeu ! Après une introduction très free au ténor seul, Shepp bascule abruptement dans l’exposé du thème, interprétant une des meilleures versions de ce titre que je connaisse. Tout en respectant l’esprit d’Ellington, presque scrupuleusement, comme pour excuser l’intro incandescente, Archie Shepp joue de sa sonorité si personnelle, chaude avec cette petite pointe acide qui la caractérise, pour graver cette mémorable version, qu’il complètera plus tard sur The Way Ahead par une autre version d’anthologie de Sophisticated Lady, cette fois.
Un bel album de Shepp, à ne pas négliger car il contient quelques belles plages.