Quoi qu’en disent les théoriciens, les genres musicaux permettent à l’auditeur potentiel de tisser un paysage flou de ce qui l’attend en abordant un album. Ils permettent de piquer l’intérêt, voire de créer une attente, en particulier lorsqu’on contextualise la musique. Quand on m’a demandé d’écouter Macha lors d’un échange musical, j’ai sauté au plafond : pensez-vous, du post-rock néo-psychédélique à tendance krautrock-gamelan… De quoi faire des cheveux gris aux détracteurs de la terminologie boulizique. La promesse : un subtil mélange d’influences orientales sur de solides bases occidentales. Un peu ce qu’avait su faire Pelt avec Ayahuasca, certes dans un registre plus drone free-folk. N’en jetons plus, assez glosé sur les styles. Evoquons plutôt la crainte naturelle à voir le projet se perdre dans son idée, s’éparpiller dans ses recherches. Macha fait-il partie de ces groupes qui font retomber le soufflé au thé vert ?
Non. Le résultat est surprenant d’homogénéité. Malgré son esthétique clairement 90s d’inspiration velvetienne, de nombreux détails donnent envie d’y revenir, et pas seulement les modes d’inspiration orientale : les effets électroniques enrobent le tout et apportent une vraie valeur ajoutée. Très doux dans l’ensemble, ne cherchant pas à poser des voix pour créer des chansons, Macha alterne entre des passages fins et d’autres moments plus électriques avec un soupçon de sonorités déglinguées. Qui se cache derrière ce savant mélange ? Bien qu’accompagné de son frère Mischo et bénéficiant de l’apport non négligeable de Jai Riedl, le cerveau du groupe semble être Joshua McKay. Auteur des paroles, des compos, présent au mixage et à la production, il joue en plus de multiples instruments (à la manière de Gregorio Paniagua) dont la cithare, le marimba, les maracas, les claves, le hautbois ou encore la cithare. Un certain Jay McKashi est crédité aux effets bizarroïdes ; serait-ce un clin d’œil à son omniprésence, un peu comme Jaime O’Rourke sur Long Hair in Three Stages ?
Car ces bidouillages sonores donnent plus de matière à une mixture déjà très travaillée, notamment par les percussions type gongs de Sumatra qu’on entend dès le premier morceau. Les idiophones sont omniprésents, en particulier dans « The Short Life » (pour les amateurs de Tortoise) ou l’exceptionnel « Light the Chinese Flower » (avec son intro évocatrice de Slint). On pourrait croire que tout cela semble alambiqué, mais au final c’est souvent laid-back voire très calme avec « Sama Sama ». « Cat Wants to Be a Dog » mise sur une nonchalance à la Cibo Matto, de même que « Double Life » où l’on se laisse emporter par les arabesques et le son des violons mêlé au gamelan. Bien sûr, la nervosité est présente : un air traditionnel est détourné sur « The Buddha Nature » avec du rock qui tache à la manière de GBV, tandis que le dulcimer claque sur « Capital City » dont la mécanique évolutive rappelle par moments Sonic Youth. « Visiting the Ruins » est un morceau lancinant absolument hypnotique comme contrepoint aux diverses montées en puissance qu’on retrouve sur cet excellent album.
En prenant du recul, Macha donne l’impression d’inviter des danseurs de Bali à pogoter sur une rythmique post-rock, à l’exception de la courte pause instrumentale à mi-chemin, sous-titrée « Invisible » ; hommage certain au célèbre Harry Partch qui, en son temps, avait pavé la voie au minimalisme américain avec sa collection d’instruments aux sonorités étranges qu’il avait lui-même fabriqués. Macha, ce n’est donc pas simplement une promesse. C’est une promesse tenue, en vous regardant droit dans les yeux, sans sourciller. C’est un mélange d’influences assumées, qui n’ont presque pas pris une ride. Oui, contrairement à ce que son nom peut laisser penser, Macha, c’est pas du vermoulu. Comprenne qui pourra.