Sun Ra - My Brother The Wind Vol. II lp (1969 et/ou1970)
A l’écoute de la discographie du vieux céleste, on discerne une très grande cohérence, comme un long projet qui se déroule avec une implacable continuité. Finalement, plutôt en dehors des modes, même s’il n’y est pas insensible, par exemple, lorsqu’il épouse les tendances les plus avant-gardistes en vogue dans la deuxième partie des sixties. On en comprend bien l’impérieuse nécessité, inhérente à la dimension « spatiale » de sa musique. Comme ici avec "My brother the wind".
Le disque s’ouvre avec l’excellent "Somewhere Else" , un thème répétitif, joué en quatre notes maintes fois répétées, rajeunissant d’un coup ce bon vieux « swing » qui nous replonge dans les années trente ! Les solos, très brillants, sont plutôt free. Encore une fois un énorme sentiment de maîtrise, comme si chaque note avait été soigneusement pensée, élue parmi toutes les autres et ne pouvait être ni modifiable ni interchangeable, sa place demeurant là, de façon immuable, en un registre classique.
"Contraste" consiste en une arrivée successive du sax baryton (Pat Patrick), de la basse (Alexander Blake), du moog synthé et du sax alto, création en deux dimensions contrastées (comme l’indique le titre) d’un paysage sonore, avec Sun Ra à la palette.
"The wind speaks" est un tournant sur cette face et nous montre un autre aspect de Sun Ra, fasciné par la découverte récente des synthés. Ce morceau est un solo de moog synthé imitant le son du vent, calme d’abord, s’approchant de nous, puis devenant plus violent, tourbillonant…
"Sun Thoughts", "Journey to the stars", "World of the Myth" et "The Design Cosmos II", sont des pièces elles aussi en solo, avec Sun Ra à nouveau au mini-moog synthétiseur. Cette partie du disque contraste avec le reste de la musique présente sur l’album, on peut y voir un Sun Ra précurseur, à la pointe de la modernité d’alors. Pour moi ce n’est pas la partie du disque la plus indispensable, mais d’autres auront sans doute un avis contraire et y verront une porte vers d’ autres niveaux de cet ailleurs cosmique.
Retour à l’Intergalactic Infinity Arkestra pour la seconde face qui débute par "Otherness Blue", cette pièce n’est pas sans faire penser à Jimmy Smith et à son orgue, le son est velouté et les nappes d’orgue se déploient avec légèreté, Kwame Hardi à la trompette et surtout John Gilmore au ténor transforment ce soul jazz en brûlot free, ça commence fort !
"Somebody Else's World" est illuminé par June Tyson qui telle une étoile, scintille au milieu de l’Arkestra à chacune de ses interprétations. En voici les paroles :
Somebody else's idea of somebody else's world
is not my idea of things as they are
somebody else's idea of things to come
need not be the only way
two visions of future
What needs to be need not be what need had to be
for what was is only because of
an adopted look of need
some chosen thought that was
need not be the only product
to build a world on
"Walking on the moon", l’une des plus belles chansons de Sun Ra est ici magnifiée par le chant de June Tyson qui est en symbiose parfaite avec la musique du Sun, le temps est au rhythm and blues et ça balance au rythme d’Eole dans cette marche lunaire. Mention particulière au solo de Pat Patrick au baryton. Ce titre achève de façon magistrale cet album qui nous dévoile deux faces différentes de Sun Ra.
Ecrit en 2012