J'aime bien comparer la passion pour la musique à l'amour. Évidemment, chacun ses critères, mais plusieurs personnes peuvent s'entendre pour dire que telle personne est "parfaite". Et pourtant, tu ne tombes pas amoureux d'elle pour autant. Non, toi, la personne dont tu tombes amoureux, elle n'a peut-être pas toutes les qualités du monde ou ce qu'on pourrait appeler "perfection"... Tu es bien conscient qu'elle en a des défauts, mais quoi ? Elle te plaît. Certes, tu la trouves belle selon certains de tes critères que tu diras objectifs, mais le critère principal, lui, sera subjectif, indescriptible. Enfin, on peut bien poser un mot dessus, "amour", mais ce mot n'est qu'un mot après tout, bien trop réducteur.
Eh ben, les albums, c'est pareil. Nevermind a été mon premier amour, pour ainsi dire, celui avec lequel mes oreilles ont perdu leur virginité ; je n'avais avant de le rencontrer que peu de considération pour la musique. À 15 ans, il a réussi à m'y intéresser, et durablement. Je me suis mis à la guitare pour pouvoir le jouer. Le moustique que j'étais découvrait sa libido.
Qu'est-ce qui m'a plu chez lui ? Certainement, ses refrains accrocheurs, son énergie débordante, son petit côté violent et provocateur qui me faisait sentir rebelle, ses riffs qui, s'ils déboulaient dans un pays où le headbang était puni de mort, provoqueraient un génocide. La lobotomisation par la musique commerciale de mes oreilles d'adolescent, diront d'autres. La jaquette, sûrement, a fait son petit effet elle aussi. Et puis, le personnage de Kurt Cobain, adolescent devant l'éternel. Mais, il faut le reconnaître, aucune de ces raisons, ni même leur addition, n'est pleinement satisfaisante... C'est ça aussi, l'amour.
Et aujourd'hui alors ? Je ne suis peut-être pas vieux, mais j'en ai eu, des amours, dans cette société aux mœurs libérales qui est la nôtre. De Nirvana, je suis passé à Metallica, Dream Theater, King Crimson, Supertramp... Pas que je me sois disputé avec Nevermind, que j'aie tourné la page (ça ferait presque de ma critique une apologie de la polygamie tiens). Non, il a toujours eu une place de choix dans mon cœur, celle de la première fois. Tu sais, tu as beau faire de nouvelles découvertes, être parfaitement heureux, te rendre compte qu'il y a cent fois mieux, rien ne l'effacera. D'ailleurs, j'aurais beaucoup aimé piquer le titre de la critique de King-Jo : "Forever in My Mind".
Et puis finalement, qu'est-ce qu'on reproche à cet album ? Celui d'être trop simple ? Deux réponses :
-Essayez, de faire la partie de batterie de Dave Grohl sur Stay Away par exemple, ou de jouer Lithium à la guitare tout en chantant, vous m'en direz des nouvelles. Bien sûr que c'est pas époustouflant de technicité, mais moi par exemple j'y arrive pas (bon chuis ptet pas la référence non plus...).
-Et puis, quoi, est-ce qu'il faut qu'une musique soit technique pour s'appeler musique ? Certes, c'est intéressant, la technique, la recherche, pousser plus loin les limites de l'homme-guitare, je suis le premier à apprécier, mais est-ce qu'il n'y a pas de bonne musique sans technicité ? J'en doute.
Le fait que les chansons se ressemblent toutes ? Honnêtement, en 40 minutes, est-ce qu'on s'ennuie une seconde ? Vite fait sur Polly, mais finalement, elle fait relâcher la tension avant Territorial Pissings, on peut pas dire qu'elle soit inutile. Donc, c'est peut-être subjectif, mais je considère que ce n'est pas la variété de style que Nirvana cherchaient en composant l'album.
Non, ce qui fait la beauté, la qualité de cet album, c'est l'émotion qu'il contient. Prenez Something in the Way. 4 accords de guitare, une batterie discrète, 8 lignes de paroles sans queue ni tête, un violon, et la voix de Kurt Cobain, et tout y est, il n'en faut pas plus pour faire passer une émotion, mélancolie tellement forte qu'elle te prend à la gorge et t'arrache une larme, à toi l'adolescent qui voulait faire le gros dur. Tu ne peux rien faire. Contre la rage de Breed, tu ne peux rien faire. Contre la désinvolture de Lithium ou de Polly, tu es toujours impuissant. Tu ne peux que subir l’agressivité de Territorial Pissings, tu ne peux pas ne pas te sentir accueilli par Come as you are. Et puis cette énergie, rien que Smells Like Teen Spirit, monstrueusement efficace. On a reproché à cet album son grand succès, mais il est juste impossible de ne pas être séduit.
Bon, mais j'ai grandi, et après l'émotion vient la raison, l'approche "cartésienne" : qu'a apporté cet album à la musique ? Certains diront, rien, et d'un côté, ils ont raison : Nirvana ouvre avec cet album la voie au punk-pop, tout ça. Mais finalement, cet album a réussi à rappeler aux rockeurs ce qu'ils avaient oublié : pas besoin de solos grandioses, de mise en scène pompeuse, pour faire passer une émotion ou de l'énergie, ce qui est, finalement, la finalité première de la musique.
Enfin, vous l'aurez compris : cet album, il a peut-être des défauts, mais quand on le regarde d'un certain angle, il est bourré de qualités, et puis d'abord, je l'aime, c'est tout, c'était ma première fois.