New Grass est enregistré les 5 et 6 septembre 1968 sur le label Impulse.
"Albert Ayler incarne le rêve que je n’ai jamais pu réaliser". John Coltrane
Le voici l’objet du scandale, l’album qui sera reproché à Albert Ayler… Il a flirté avec la pop ! Ce disque est un disque commercial ! Albert a vendu son âme contre quelques dollars ! Lui, le chantre du Free, lui qui a repoussé les limites, le voilà pris en flagrant délit de prostitution de son art ! Shame, oui honte à lui ! Freejazzator nous te honnissons ! Ainsi crient à l’unisson les puristes du jazz, ceux qui l’ont tant aimé, ceux qui, il y a peu, l’ont reconnu et encensé. Alors, New Grass, une concession ?
La querelle est maintenant (un peu) oubliée, les années sont passées et on peut observer l’objet du délit (délire) avec un œil neuf et une oreille apaisée. Pour comprendre cet album consacré au rhythm and blues il faut replonger dans le passé, pendant son adolescence Albert Ayler s’est consacré essentiellement à ce style de musique et l’a joué avec divers groupes, il l’aime sincèrement, elle le forge et le façonne, il l’aime et ne la reniera point. Ce n’est pas l’artiste d’un genre musical, mais de tous les genres…
Il a toujours voulu émouvoir son auditoire, son énorme vibrato, son investissement physique, sa générosité poignante, tout cela c’est avant tout pour toucher son public. Il faut plutôt voir en New Grass un pont entre sa musique et les autres, une tentative pour mieux faire comprendre son art, un effort en direction d’autrui… Cet album porte en lui une tentative pour gommer les aspérités et la rugosité de sa musique qui peut représenter un obstacle pour l’auditeur… Albert Ayler a en effet beaucoup souffert de cette incompréhension qui parfois se transforme en hostilité et même en en agressivité à son égard.
Pourtant l’album s’ouvre dans une atmosphère très free, en parfaite continuité avec ses autres albums. « New Grass» commence par un solo de saxophone strident, un long cri qui se prolonge jusque dans le suraigu, puis Bill Folwell gratte les cordes de sa basse pour lui faire écho, le duo fait place ensuite à Message From Albert, un poème/présentation dit par qui vous savez…
Ensuite tout bascule vers une série de rhythm and blues effrénés, on y entend un chœur Gospel, une basse électrique, une section de cuivres, des rythmes binaires et la musique devient dansante, joyeuse et festive, toute la tradition gospel y est rassemblée, la foi, l’église et la soul… C’est bien sans se renier et porté par un élan d’ouverture qu’il bascule à nouveau les barrières et recule les limites!
Ce message d’amour universel représente donc une porte d’entrée rêvée pour aborder Albert Ayler.