1975, le Mahavishnu Orchestra est à bout de souffle. Depuis 1971 et sa création par John McLaughlin avec Billy Cobham, Jerry Goodman, Jan Hammer et Rick Laird, ne reste plus que son leader guitariste. Si la seconde formation du groupe n'a pas sorti de disques foncièrement mauvais, la troisième et ultime expression, responsable de l'album Inner Worlds, affiche désormais un groupe fatigué, à l'instar du genre jazz-rock / fusion dont ils furent les grands initiateurs, soit quatre années seulement après le séminal The Inner Mounting Flame. En attendant la sortie officielle de ce dernier enregistrement début de l'année suivante, McLaughlin s'attelle déjà en 1975 à un nouveau projet, quitte à surprendre et dérouter les amateurs de jazz électrique pompier : Shakti.
Accompagné à présent de musiciens indiens, Zakir Hussain au tabla, L. Shankar (neveu de Ravi) au violon, R. Raghavan au mridangam et T.S. Vinayakaram au ghatam et mridangam, McLaughlin souhaite rendre hommage à la musique traditionnelle indienne. Délaissant sa célèbre guitare électrique à double manche, les préceptes du gourou Sri Chinmoy et son patronyme Mahavishnu, le gentleman anglais n'aura jamais été aussi proche de l'Orient.
Point de rencontre entre le râga et la musique occidentale, Shakti s'inscrit finalement dans la démarche initiée quelques années plus tôt par McLaughlin sur My Goal's Beyond (1970), ou celle de ses glorieux aînés Miles Davis et John Coltrane. Inspiré par la musique orientale, le jazz modal du divin Kind of Blue fut ainsi l'un des premiers à s'intéresser à ses structures harmoniques, au même titre que les nombreuses compositions signées par le quartet de Trane, dont l'indubitable India enregistré au Village Vanguard en novembre 1961 (sa mort prématurée en 1967 écartant froidement l'un de ses souhaits, celui de jouer avec Ravi Shankar). Mais différence notable cette fois-ci avec Shakti, la musique proposée dépasse le « simple » cadre de l'intégration ou de l'inspiration. Et à l'image de la nouvelle guitare acoustique customisée de McLaughlin (voir la pochette), Shakti incarne un nouveau lien entre le l'Est et l'Ouest.
Enregistré le 5 juillet 1975, Shakti with John McLaughlin est un témoignage du concert donné au South Hampton College par le guitariste et son quintet oriental. Et quel concert ! Dans l'hindouisme, Shakti désigne à la fois la puissance, la force et l'énergie. Or à l'écoute du premier titre Joy, on retrouve effectivement tout ceci. Dix huit minutes au cours duquel le duel entre le guitariste et le violoniste prend la forme d'un combat homérique. Rapide, intense, expressif, McLaughlin y signe sans doute dans l'esprit son titre le plus coltranien. A l'opposé, le second titre, Lotus Feet, fait office d'interlude méditative en attendant la dernière plage qui occupait à l'époque l'intégralité de la face B du vinyle. Plus intime, plus proche du râga dans sa volonté d'étirer les variations et les textures, All Is Bliss combine d'une certaine manière plusieurs composantes que l'on retrouvera dans les deux prochains albums de Shakti publiés quasiment dans la foulée (avant que McLaughlin ne rebranche de nouveau son ampli) : A Handful of Beauty (1976) et Natural Elements (1977).
http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2014/08/shakti-shakti-with-john-mclaughlin-1976.html