Douceur portugaise

Je rattrape mon retard sur la scène lisbonnine en regardant le catalogue de Príncipe, je tombe sur l'artwork intriguant de Sonhos & Pesadelos, et sans surprise, le contenu est à l'image du contenant : non-conventionnel et émoustillant. Les dix têtes de cet être jaune que vous apercevez sur la pochette, ce sont les dix morceaux présents sur l'album. Chacun d'eux repose foncièrement sur les mêmes bases (à peu près kuduro, kizomba, microhouse, techno électrique, rythmes baléares et autres saveurs ibères et africaines). Mais DJ Lycox sait tenir en haleine son public : son long passé à faire du dj-ing dans les clubs européens lui a donné des compétences particulières dans l'art de la sélection, dans la recherche du dansant, sachant happer son auditeur avec des sons riches et précis, apportant toujours plus de nuances et de couleurs au fil des minutes.

Sur Sonhos & Pesadelos, DJ Lycox satisfait une envie qui devait lui trotter dans la tête depuis pas mal de temps : sortir des chantiers battus et apporter un vent frais - mais risqué - à la scène électronique actuelle. Un set composé de ces morceaux, délivré à des clubbeurs dopés à la vodka-pomme hors de prix dans un club de la capitale française (là où Lycox officie depuis plusieurs années) aurait vite fait de plomber sa carrière. C'est pourquoi se livrer à l'exercice du format studio est intéressant, qui permettra au producteur tant de se faire connaître dans la sphère des écouteurs-de-chambre que de participer à l'émergence et à la promotion de sonorités incongrues et exotiques, en l'occurrence le kuduro et l'afro-house.

Sonhos & Pesadelos aurait vite fait de ressembler à rien avec ses rythmes inhabituels, ses samples vocaux étranges et sa panoplie ahurissante d'instruments et synthétiseurs en tout genre. A lire la description que je fais de l'album dans ces quelques lignes, on penserait (à raison) qu'on tient là une atrocité indigeste EDM. Mais c'est faux. Tout est si bien agencé sur cet album, il déborde d'inspiration et d'originalité, et Lycox maîtrise ses idées en les insufflant dans une musique passionnante et colorée. On retrouve un solo de cuivre qui part totalement en vrille sur La Java, un orgue un peu bancal et essoufflé surgit sur Galinha, tandis que la flûte est à l'honneur sur le closer de la version physique de l'album, Solteiro. Au delà des instruments traditionnels, ce sont les sonorités analogiques et numériques qui sont particulièrement intéressantes ici. A l'écoute de l'album, on comprend assez vite que Lycox dispose d'une quantité non-négligeable de séquenceurs et synthés modulaires. Il n'y a pas un seul morceau qui semble répéter la même programmation qu'un autre. Chaque mélodie a un consistance différente, chaque basse et chaque kick a sa petite particularité. Et ce n'est pas la variété de sons parsemants l'album qui le rend inouï ; les rythmiques sont toutes délicieusement complexes, assez dansantes pour taper du pied et assez recherchées pour se dire 'mais comment fait-il ça?'. Les morceaux sont profonds et sensuels, subtiles et romantiques, ils respirent la fête et scintillent d'exotisme. Sonhos & Pesadelos est véritablement un one-of-a-kind. Vous ne croiserez pas tous les jours des albums aussi passionnants et passionnés que celui-là, où des percussions légères venues d'Afrique subsaharienne fleurtent avec les basses mouvementées de la house européenne, où le kuduro propre aux festivités populaires portugaises se frotte à des rythmes savants qui bouillonnent d'ingéniosité. L'album ravira les fans d'Equiknoxx et de DJ Python, également orfèvres de douceurs bizarroïdes tropicales.

https://principediscos.bandcamp.com/album/sonhos-pesadelos