Spirits
8.1
Spirits

Album de Albert Ayler (1964)

“Elle avait des idées particulières. Elle voulait que je sois très spécial, très unique” Albert Ayler parlant de sa mère.
« C’était un voyant. Il recevait des messages spirituels et savait qu’il était contrôlé par les esprits » Sunny Murray


« Quand il jouait c’était comme un esprit. Sans forme particulière. Il cassait les limites pour mieux les dépasser. Il quittait la terre par auto-hypnose et partait loin, très loin sans la moindre drogue. » Milford Graves


La principale marque de cet album, et elle est d’importance, c’est qu’Albert Ayler est enfin entouré par des musiciens de sa trempe et de même communauté musicale: place au free jazz, à la grande plongée. Entrons dans un univers fantasque, peuplé d’esprits, bons et mauvais, entre le monde de l’enfance et celui des croyances!


Les esprits sont là, les sorcières et les diables, mais aussi les esprits saints… D’ailleurs Albert Ayler n’a-t-il pas dit qu’il était le « Saint Esprit » d’une trinité dont John Coltrane était le père et Pharoah Sanders, le fils ?


Aaah ! Dès l'ouberture de l'album les « Spirits » sont lâchés, ils tourbillonnent autour de moi en une course folle, insaisissables, ils me frôlent et m’embrassent de leurs baisers froids, brrrr… Tout est vitesse, vivacité, air, vent, tournoiement, ivresse, tout bouge et balance, le sol se dérobe, tout tombe, tout tourne, ça attire et ça aspire ! Ils sont là, les sorciers et les Diables !


Oui l’esprit est là et souffle sur la musique, l’esprit malin, celui des « Witches and Devils » ! La musique est inquiétante, fantomatique, elle nous plonge avec candeur dans un monde maléfique… Ici un climat fait d’angoisse et d’inquiétude se tisse: les basses sont sourdes, plaintives et gémissantes, l’une psalmodiant d'inquiétants arpèges tandis que l’autre vibre en accords lugubres. Frottées, frappées et triturées les cordes des deux basses célèbrent une danse macabre. De la batterie, poulpe tentaculaire, jaillissent des roulements sourds battant un rythme lent, sombre, soudain la trompette déchirante hurle à la mort… Et la voix d’Ayler gémit, triste, toute proche et parle à l’intérieur, de l’intérieur…


« Holy, Holy » secrète en son sein, pour qui écoute avec son cœur, une charge émotionnelle énorme portée par le souffle mystique du bel Albert… Magistral solo de plus de cinq minutes de l’Esprit Saint qui nous fait passer le gué et atteindre l’autre côté, celui d’outre-tombe. Sunny Murray est percussif, descriptif, commentant le rythme, d’ailleurs, à quoi bon ? Le rythme on l’entend vibrer sous les cymbales, démultiplié en une boulimie polyrythmique, facétie diabolique du génial batteur dont on entend la voix au loin comme une sourde plainte suppliante. Norman Howard joue comme son leader, avec un énorme vibrato, une grosse couleur, précis et puissant, dialoguant avec le ténor.


« Saints », Ah! Quand on parle des anges, les voici laissant apparaître le bout de leurs ailes… Sur un tapis de silence les instruments décrivent l’espace en jouant avec lui, crépitements et bruissements, prière pure et plaintive lancée aux cieux. Henry Grimes précieux bassiste, ne visitera plus les anges, enfin pas tout de suite, ayant vendu sa basse il tombera dans l'oubli, vivra pendant plus de trente ans de petits boulots glanés à droite ou à gauche, à Los Angeles, jusqu'à ce que son passé le rattrape et lui offre une seconde chance de redevenir l’immense musicien que l’on entend sur cet album...


De bonne qualité technique et premier projet abouti du grand Albert, cet album est superbe et même touchant.


(NB: On trouve également cet album sous le nom de "Witches and Devils")

xeres
9
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le 9 mars 2016

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