Tango 3.0 par Claire Magenta
Prétendre que la formation argentino-franco-suisse Gotan Project ne laisse pas indifférent semble un peu présomptueux. Certes, le jeune cadre dynamique pourra toujours mettre en avant la post-modernité de la démarche du trio, au grand dam des traditionalistes, admirateurs fervent du grand Astor Piazzolla. De même, le succès non démenti des disques du Gotan Project peut servir aussi à juste titre d'argumentation aux habitués des ambiances lounge dont la rhétorique creuse n'auraient d'égal que leur manque de personnalité, et pourtant... Force est d'admettre après l'exposition médiatique et les ventes qui suivirent leur premier album, l'efficace La Revancha del Tango, la nouvelle coqueluche des parvenus asexués aurait très bien pu disparaitre et finir aux oubliettes de la cool branchitude telle la baudruche St Germain, ou au mieux rester un témoignage sonore de cette décennie (qui poussa le recyclage sonore dans ces derniers retranchements) à travers ses quelques apparitions dans diverses séries télé ou publicités. Mais Lunático, leur deuxième essai, après cinq années d'absence, tendait sinon à contredire la défiance des cyniques et autres désabusés, avait au moins le mérite d'offrir une alternative crédible au succès légitime de l'album précédent, un disque riche, mélancolique, plus acoustique, la danse cédant sa place à la contemplation, à l'image de leur relecture du thème de Paris, Texas de Ry Cooder. Quatre ans, quasiment jour pour jour, sort le nouvel album du Gotan Project, Tango 3.0, soit une troisième version de leur Electro mâtinée de tango, une mise à jour pertinente avec nombre de plugins originaux ou juste une resucée boiteuse du passé?
Passé l'agréable surprise de découvrir la prochaine sortie du nouvel album du Gotan Project, quatre années d'attente laissait supposer quelques petits changements voire un recadrage pour certaines ouïes sensibles, le précédent essai paraissant trop sérieux à leur goût. Un renouveau dans la continuité. Le trio joue de nouveau la carte de l'ouverture, soit une des marques de fabrique du groupe, en invitant nombre de collaborateurs comme par le passé. Parmi les guests de luxe, Dr John et son orgue Hammond font l'honneur de leur présence sur le titre d'ouverture Tango Square, de même que les voix samplées du romancier argentin disparu en 1984 Julio Cortázar sur Rayuela récitant un passage de son roman du même nom, mais aussi celle du commentateur de football Víctor Hugo Morales (lors du fameux second but de Maradona contre l'Angleterre en quart de finale du mondial mexicain). Tout en s'entourant de la fidèle chanteuse Cristina Vilallonga, du pianiste arrangeur Gustavo Beytelmann et du joueur de bandonéon Nini Flores, le Gotan explore de nouveaux horizons, délaissant par exemple les touches hip-hop de Lunático pour le dub sur ce nouvel album (Desilusión), tout en enrichissant encore un peu plus leur palette musicale de cordes et de cuivres (trompette, trombone, saxophones), l'ambiance de ce Tango 3.0 aspirant à être plus cinématographique (De Hombre A Hombre) lorgnant même du côté du western (Panamericana).
Toujours est-il que contrairement aux opus précédents, ce nouveau disque s'il ne tourne pas à vide, laissera l'ancien amateur exigeant sur sa faim. Celui qui pouvait s'enorgueillir d'avoir découvert le génie d'Astor Piazzolla par l'intermédiaire de ces ingénieux artisans aura du mal à défendre bec et ongle ce qui reste à l'heure actuelle leur album studio le plus faible, alternant la chanson qui n'aurait pas dû dépasser le stade embryonnaire (Tu Misterio avec le chanteur argentin Melingo), une production lisse et sans relief à l'opposé du vivant et profond Lunático ou pire quelques fautes de goût telle la chorale enfantine sur Rayuela.
Tango 3.0 n'est certes pas la resucée qu'on pouvait craindre, mais laisse un gout d'inachevé, un album que certain qualifieront poliment de léger perdant à la fois l'efficacité exubérante de La Revancha del Tango et la sophistication sensuelle et sombre de Lunático.