La séparation de King Crimson juste après son premier (unique ?) chef d’œuvre, « In the Court of the Crimson King » est pour moi un terrible gâchis que je n’ai jamais vraiment digéré, et il doit y en avoir d’autres dans mon cas.


« The Brondesbury Tapes », enregistré par Peter Giles en home recording après « The Cheerful Insanity of GG&F » et « Court », est le chaînon manquant entre la pop ingénieuse du premier et le génie monstrueux du second. La qualité du son, proprement stupéfiante, ne le cède qu’à celle des morceaux, tous excellents et parfois très ambitieux et expérimentaux. Peter Giles, qui a aussi compilé ce CD, a eu l’intelligence de les disposer par ordre chronologique : on peut ainsi suivre l’évolution fulgurante du son du groupe à travers ses trois incarnations, de 1967 à 1968.


Dans la première, GG&F seuls montrent déjà des audaces musicales et des envies d’exploration (surtout à l’initiative de Robert Fripp dans les instrumentaux). Dans la seconde, l’arrivée du multi-instrumentiste Ian McDonald et malheureusement de Judy Dyble, une banale chanteuse de folk comme il s’en trouvait treize à la douzaine à l’époque, va considérablement étoffer le son et ouvrir une multiplicité d’horizons et de possibles : musicien surdoué et excellent compositeur (c’est lui qui est responsable de « I talk to the wind » et « Under the sky »), Ian McDonald, qu’on retrouvera dans « Court », devait se révéler irremplaçable. Dans la troisième, enfin, Judy Dyble est partie (ouf), et le quatuor restant, harmonieux, à l’aise et soudé, confirme pleinement ce potentiel… qui ne sera jamais réalisé (l’aérien « Wonderland », en particulier, est un petit bijou jazzy).


A l’intérêt musical évident de ce CD s’ajoute un intérêt historique : le 21st century crimsoïd man y trouvera les brouillons de « I talk to the wind », mais aussi de « The Letters » (« Why don’t you just drop in »), de « Under the sky » (repris sur l’album solo de Pete Sinfield) et même, en partie, de « Cadence and Cascade » (« Make it today »).


Alors pourquoi a-t-il fallu attendre 2001 pour que cette perle voie enfin le jour ? Eh bien, j’ai idée que c’est parce que Robert Fripp n’appréciait pas « The Cheerful Insanity of GG&F », dont il a avoué une fois avoir honte. Il ferait mieux d’avoir honte de la minable période Talking Heads de King Crimson dans les années 80, et surtout d’être le responsable de la dissolution de la première incarnation du groupe, dont ce tyran discret a viré tout le monde (sauf Greg Lake, débauché par Keith Emerson) afin d’y régner sans partage.


Quand j’y pense, je devrais lui en vouloir à mort, à Robert Fripp. Mais comment en vouloir, même un peu, à MONSIEUR Fripp ? Mieux vaut se consoler avec « The Brondesbury Tapes ». Croyez-moi, il existe de pires lots de consolation que celui-là pour les inconsolables.

OrangeApple
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le 18 sept. 2016

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