The Less You Know, the Better par BenT
DJ Shadow a un lourd héritage à porter. Son propre héritage. L'héritage "Endtroducing..."... C'est le problème quand on sort un premier album dans un style musical qu'on a pratiquement inventé, l'abstract hip-hop, et que ce premier album est un classique intersidéral adulé par des millions de fans. Faut assurer derrière.
Dans un premier temps, il a fait ça bien, avec "The Private Press" qui, bien qu'en dessous d' " Endtroducing...", est un super bon album qui a d'ailleurs reçu un bon accueil. On sentait quand même que DJ Shadow tentait de s'éloigner (un peu) de la recette qui avait fait son succès, c'est à dire lâcher des instrus hip-hop planantes parfois à la limite de l'expérimental.
Et puis y a eu "The Outsider", un album qui fait la part belle au hyphy, un mouvement lancé vers San Francisco par les Keak Da Sneak et autres E-40, des figures importantes de la scène rap locale. Et le hyphy, c'est quand même spécial. Faut aimer, quoi. Et ce qui devait arriver, arriva : logiquement déconcertés, les fans de la première heure de Shadow n'ont pas apprécié, ou en tout cas, pas tous. Certains ont même crié au scandale.
Que l'on critique The Outsider parce que ce n'est pas un bon album, ça peut s'entendre. En revanche qu'on le critique parce que Shadow a soi-disant renié son style, là je dis non. On ne peut pas réduire Shadow à l'abstract hip-hop, et encore moins à "Endtroducing...". DJ Shadow vient du hip-hop, The Outsider était l'occasion pour lui de rendre hommage aux mecs qui font bouger la scène rap de sa ville natale, San Francisco. Il aime trop la musique pour l'enfermer dans un enclos. Ce message, je pense qu'il a déjà essayé de le faire passer de façon soft avec "The Private Press" et beaucoup plus directement avec "The Outsider". Sauf que le message n'est pas super bien passé du coup, l'album n'étant franchement pas transcendant.
Ce message il essaie de l'envoyer à nouveau dans "The Less You Know, The Better". Et de fort belle manière si vous voulez mon avis. Car mon Dieu, que ce DJ Shadow est un excellent producteur !
Que l'on accroche ou pas sur les sons de TLYKTB, il faut bien avouer que tous sont extrêmement bien produits. C'est ciselé, calibré et ficelé super proprement. Par exemple, "Border Crossing" avec ses forts accents de métal survitaminé, est malgré tout (je dis "malgre tout", car le métal c'est pas ma tasse de thé) très efficace dans son genre. Et sur la piste qui suit, on enchaine sur un hip-hop jazzy/funky, puis sur une petite ballade très agréable à écouter avec "I've Been Trying".
Et c'est ça qui est fort avec TLYKTB, c'est qu'on passe d'une ambiance à une autre avec la sensation que le mec qui est aux manettes maîtrise parfaitement son sujet : entre l'ambiance piano mélancolique d'un "Sad & Lonely" (gros coup de coeur pour ce titre au passage) et le style bourrin de "I Gotta Rokk" ou "Def Surround Us", il y a un gouffre que Shadow franchit avec une aisance assez déconcertante. Même le style électro-rock qui a le vent en poupe en ce moment est représenté, et même bien representé ("Warning Call").
Bon tout ça c'est bien, mais quid du "vrai" DJ Shadow, quid du DJ Shadow old timer, capable de lâcher des instrus planantes, quid du DJ Shadow dont tout le monde attend le retour comme s'il était une sorte de messie ?
Que ceux-là soient rassurés. Pour ceux qui doutaient de la capacité de Shadow à lâcher du son au niveau de ce qu'il a pu faire de mieux, vous vous rendrez compte dès la première piste de l'album, "Back To Front" (d'ailleurs le titre de la piste n'est à mon avis pas innocent) qu'il n'en est rien. Des titres comme "Tedium" ou "Enemy Lines" vont vous replonger dans les heures de gloire de la période "Endtroducing..."/"Preemptive Strike" ; "Redeemed" sonne comme un titre de "The Private Press", et je trouve que "Scale It Back" et "Come On Riding" auraient pu avoir leur place sur l'album "Psyence Fiction".
Ces titres sont définitivement excellents, mais ils ne représentent pas la majorité de l'album. C'est sûrement volontaire, Shadow ayant certainement voulu faire taire ses détracteurs en leur montrant qu' il pouvait encore lâcher des morceaux abstract d'une qualité équivalente à la période Mo'Wax, tout en leur faisant comprendre qu'il n'allait pas pour autant céder à la pression populaire et nous refaire un nouveau "Endtroducing...". Comme il l'a si bien dit à l'époque de The Outsider : "Repeat Endtroducing over and over again? That was never, ever in the game plan. Fuck that."
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.