L’année 74 est restée blanche dans la discographie d’Archie Shepp. Après avoir quitté Impulse c’est donc avec plaisir qu’on le retrouve sur Arista. J’ai toujours aimé particulièrement cet album, très accessible, mais sans facilité excessive et penchant toujours du côté qualité. Il a même des accents free par certains moments, mais ce qui le caractérise le mieux, c’est sa continuité de style avec les précédents, enracinés dans le blues et dans la soul.


There's A Trumpet In My Soul est une suite en deux parties, la première correspond à la face A et la seconde à la face B. La chanson titre qui ouvre l’album est illuminée par la voix pure et cristalline de Semenya McCord, accompagnée aux accents de la guitare acoustique par Brandon Ross. Après ce sommet lyrique Archie Shepp introduit Samba Da Rua par un solo de ténor aux accents Brésiliens teintés d’un blues langoureux…


Après une introduction, où se remarque le tuba de Draper Ray, commence Zaid. L’ambiance se modifie, le solo du saxophone, comme suspendu au-dessus des éléments qui le soutiennent, est porté par les accords lancinants, répétitifs et dramatiques du piano de l'excellent Dave Burrell. Une forte tension se crée, encouragée par les roulements continus de la batterie, martelée de façon brute et sèche . Archie Shepp s’appuie sur ce rythme hypnotique pour dérouler avec une lenteur calculée un très long solo, tout en attente contenue, alimentant une atmosphère qui devient presque suffocante. Puis tout se dénoue aux accents du piano, et c’est le tuba qui délie en quelques notes la tension ainsi libérée.


Changement de style avec Down In Brazil, un titre soleil, plage et cocotier chanté par Bill Willingham. La chanson surprend dans le répertoire de Shepp qui n’est pas accoutumé à céder à des penchants qui peuvent paraître commerciaux. Ceci étant, c’est juste, peut-être, pour dire : « Vous voyez, je peux le faire, moi aussi », et il faut reconnaître que c’est parfaitement bien exécuté, Shepp au soprano jette les bases d’une ambiance sucrée, le solo de Roy Burrowes à la trompette a lui aussi des accents très festifs et enjoués et Charles Majid Greenlee se laisse gentiment embarquer par les accents du Brésil et de la Samba. La version jouée ici ne possède pas la distance qu’il avait autrefois installée lors de son interprétation de The Girl from Ipanéma sur Fire Music.
La seconde face débute par la deuxième partie de Zaid, celle-ci dure environ quatorze minutes et constitue une part très dense de l’album, en contraste absolu avec le morceau précédent. La puissante masse orchestrale soutient Archie Shepp qui improvise un superbe solo avec ses qualités habituelles, son phrasé et sa couleur unique, la rythmique est puissante et Beaver Harris assure un beat en béton, les accents du piano électriques, nouveaux chez Shepp, sont tout à fait bienvenus et Walter Davis en profite pour laisser trace d’un joli solo. Charles Majid Greenlee lui succède au trombone, un instrument que Shepp apprécie beaucoup et depuis longtemps. Tout à coup, pendant le solo de Greenlee, à l’arrière, le big band glisse lentement d’un morceau structuré et très rythmé vers des accents très free où le sol semble s’effondrer, faisant perdre pied à l’auditeur, après une très dense improvisation collective aux accents dramatiques, le morceau se réduit à l’activité d’ un trio basse, batterie, sax ténor.


Sur un ton mélodramatique Bill Hasson récite un poème «C’est l’année du lapin… » Tandis qu’à l’arrière l’orchestre improvise,avant de revenir au thème de Zaid pour quelques notes finales en apothéose, qui constituent la troisième partie et l’épilogue de cette magnifique pièce.


Une très belle œuvre qui signe de belle façon le retour de l’immense Shepp.

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le 17 mars 2017

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