Les années 2010 et 2020 voient triompher le retour des sons psychédéliques des années 1960. Shannon & the Clams, The Belmondos, Attic Ted, La Luz, You Said Strange… Aux Etats-Unis comme en Europe, on ne compte plus les formations qui nous font vivre un enthousiasmant retour au fuzz et à la réverb’.


Au cœur de ce revival neo-sixties, The Lemon Twigs occupe une place à part. Cheveux mi-longs, cravate ou col de chemise qui dépasse, les deux frères qui composent le groupe (et sont rejoints par deux autres musiciens pour les concerts) sont obnubilés par les Beatles depuis leur enfance. Or, bien que l’influence des Beatles sur la musique d’aujourd’hui soit incommensurable, rares sont les groupes pour lesquels cela s’entend autant, et surtout, qui donnent l’impression d’avoir digéré les leçons non seulement de leurs tubes pop-rock mais aussi de leurs morceaux psychédéliques les plus complexes. Au point que l’on frôle parfois la citation : on songe ici aux ritournelles de guitare en 4 temps de George Harrison, là aux descentes de claviers qui faisaient la saveur de morceaux comme « Being for the Benefit of Mr. Kite! » ou « I Am the Walrus ».


Cependant, il serait injuste de réduire le groupe à cette influence qui pourrait facilement être écrasante. A Dream Is All We Know, le cinquième album du duo de Long Island, évoque plutôt un festival de références sixties où les deux bijoux de pop psychédélique que sont Sgt. Pepper des Beatles et Pet Sounds des Beach Boys se taillent la part du lion. L’influence de ces deux groupes immenses est revendiquée par les fringants frangins, qui décrivent avec humour leur style comme du « Mersey Beach » (en référence au Merseybeat, qui désignait le style des Beatles avant leur tournant psychédélique). Mais ces influences sont diluées, contemporanéisées et associées à celles de nombreux autres groupes des années 1960 et plus ponctuellement d’autres décennies.


Le morceau d’ouverture “My Golden Years” est à demi traître. Le ton général est donné – ce sera joyeux, coloré, un peu nostalgique –, mais avec son enjouement mélodieux qui évoque le Paisley Underground (revival psychédélique des années 1980) et la jangle pop des Smiths, il pourrait faire croire à un patchwork d’influences qui s’étalerait plus largement dans les décennies. De plus, en bon single retenu pour propulser l’album, ce morceau est globalement plus accrocheur que la moyenne. On a ainsi pu qualifier le style des Lemon Twigs de « power pop », ce qui est discutable. En effet, les morceaux suivants s’installent plus complaisamment dans leur mood sixties et il faudra attendre le morceau de clôture “Rock On (Over and Over)” pour retrouver cette ouverture sur la power pop – associée à un subtil hommage au rock’n’roll des années 1950.


C’est à partir du deuxième morceau, “They Don’t Know How to Fall In Place”, que le groupe commence à vraiment dévoiler son jeu. Le rythme du couplet nous replonge dans les sautillements déjantés que les Beatles avaient introduit avec Rubber Soul, ce que l’on retrouvera sur le morceau-signature « A Dream Is All We Know ». Le refrain est quant à lui magnifié par des chœurs très Beach Boys puis par des « la la la » soutenus par un piano bastringue. Brian et Michael D’Addario, qui se répartissent l’ensemble des instruments (guitares, basse, claviers, percussions, violon…), se surpassent moins par la structure des morceaux (assez classique) que par leur densité, tant en termes d’enchaînements d’accords que de couches sonores. Ils ne sont pas loin du fameux « mur du son » par lequel Phil Spector voulait donner à la musique pop une dimension orchestrale.


L’ « âge d’or » auquel fait référence le premier morceau, c’est celui d’une vie, mais on serait tenté d’y voir aussi un clin d’œil à cet « âge d’or » de la musique des sixties à laquelle le groupe rend hommage. Une ère certes psychédélique mais aussi très pop, à l’instar de l’optimisme entêtant de « Church Bells » qui rappelle les Kinks ou de « If You And I Are Not Wise » où un chant chaleureux à la manière des Byrds vient trancher une introduction aux allures « pop FM ». Quant à « Sweet Vibration », avec son registre de voix haut perchée, elle évoque ce que les sixties avaient de plus innocent (ou niais, diront les mauvaises langues) : cet imaginaire oisif où l’on regarde les fleurs qui poussent (The Move, « Flowers in the Rain ») ou les cerfs-volants (The Free Design, « Kites Are Fun »). Etoiles, oiseaux, cloches, roses et sucreries sont le décor dans ce rêve néo-sixties qu’est A Dream Is All We Know. Aux antipodes de l’ « énergie masculine » chère à Mark Zuckerberg, les Lemon Twigs nous font espérer que la douceur soit toujours d’actualité.


Ce décor sera celui de rêveries mais aussi d’histoires d’amour, et même sur ce plan-là, ce n’est pas inintéressant. Sur « How Can I Love Her More? », The Lemon Twigs inverse les clichés genrés de “When I Get Home” et “A Hard Day’s Night” des Beatles : cette fois-ci, c’est la copine du narrateur qui sera heureuse de le retrouver dans la douceur du foyer après une dure journée de travail. Sur la magnifique ballade « In the Eyes of the Girl », les paroles parviennent à captiver l’attention sans que le propos soit forcément très novateur, grâce à un rythme ternaire dont la lenteur langoureuse et l’aspect confessionnel évoquent « Caroline, No » des Beach Boys.


Dans cette galerie d’influences d’un temps révolu mais jamais loin de nous, difficile de passer à côté de « Ember Days ». Arrivant sur le tard (9ème morceau sur 12), ce morceau semble puiser son inspiration chez le trésor le mieux préservé des sixties, que l’on oserait à peine espérer au festival des références : Simon & Garfunkel. Même la voix ressemble à s’y méprendre à celle d’Art Garfunkel sur ce morceau folk qui est le plus dépouillé de l’album. Son refrain pourrait presque fonctionner a capella mais est relevé par de discrets accompagnements. Dans les paroles, on retrouve l’Amérique des usines et des allées, celle des délaissés, que le duo de New York avait si bien dépeinte sur des morceaux comme « Bleecker Street » ou « Homeward Bound ». Un sublime moment nocturne et mélancolique dans un album qui ne manque pas de lumière.


Kantien_Mackenzie
9

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Créée

le 16 janv. 2025

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