L’année suivant Juju, paraît A Kiss in the Dreamhouse. La réussite totale de l’album précédent a confirmé ce que Kaleidoscope laissait présager de meilleur. Avec A Kiss in the Dreamhouse, Siouxsie and the Banshees reviennent avec la même formation, un record pour eux. Pour autant la recette n’est pas exactement la même.Là où Juju remettait les guitares au centre du jeu, ce nouvel album laisse de nouveau la place aux synthés, mais aussi à une multitude d’instruments qui viennent épaissir le son des Banshees. Le punk âpre (quoique riche en ambiances) des débuts s’étoffe d’un psychédélisme de plus en plus affirmé. Le corbeau revêt ses plus belles plumes de paon, à l’image de la couverture fourmillante de l’album, hommage à Klimt.
Depuis Kaleidoscope, Siouxsie and the Banshees aime attaquer directement avec leurs meilleures cartouches. Cascade ne déroge pas à la règle en ouvrant somptueusement l’album. D’abord berçante, la chanson prend ensuite un rythme de plus en plus urgent, faisant correspondre le fond et la forme, cascadant réellement durant ses 4 min 25. L’alchimie est une nouvelle fois impressionnante entre les parties de chacun des membres. S’appuyant sur la basse de Severin, omniprésente et mélodique, Budgie dévale ensuite le torrent avec son énergie caractéristique tandis que McGeogh, réhausse le morceau par de subtiles touches d’or. Siouxsie, qui a gagné en maîtrise avec la succession des albums, apporte ampleur et majesté au titre. Désormais, la chanteuse a pris sa place de frontwoman, jouant sur des registres plus variés, et, s’il y avait encore des doutes, son charisme est évident sans écraser ses compagnons. Bon, oui, j’aime beaucoup Cascade, vous l’aurez compris.
Je passe donc à la suite avec Green Fingers qui surprend immédiatement avec sa flûte à bec. C’est pourtant un son très judicieux et naturel qui apporte une fraîcheur de chlorophylle à un morceau déjà réussi. Encore une fois, la réverbération sur la voix de Siouxsie et qui donne l’impression d’une deuxième voix, rappelle un peu les B-52s. Le reste du morceau est assez classique pour le groupe, ne laissera pas indifférent Robert Smith, c’est presque sûr, et poursuit à tisser l’atmosphère onirique et scintillante de l’album.
On revient pourtant à l’ombre avec le très beau Obsession. Ici Siouxsie semble presque seule avec son érotomanie d’abord un peu mignonne, ensuite carrément effrayante. Le morceau est parcouru de sons synthétiques et d’une pulsation cardiaque en accord total avec le thème oppressant. Puis vient une partie orchestrale et des cloches du plus bel effet ! Chez les Banshees c’est une première et une réussite à la fois. Les cordes apportent un côté théâtral à l’histoire qui nous est contée. Je me répète sans doute, mais je suis toujours impressionné par la cohérence de ce groupe quand il conjugue le fond et la forme pour créer ses atmosphères.
She’s a Carnival complète la galerie des femmes désaxées évoquées par Siouxsie and the Banshees au long de sa carrière. L’énergie est communicative et, oui, joyeuse ! Siouxsie par exemple pousse de vrais cris d’excitation comme dans des montagnes russes. Là aussi c’est assez nouveau. On est pourtant au cœur d’un morceau qui emprunte tous les traits de ce qu’on considère comme musique gothique : la batterie effrénée et impeccable de bout en bout de Budgie qui impressionne de régularité à cette vitesse (je fais un peu semblant de m’y connaître, vous remarquez ?), la basse qui volète comme un bourdon, la voix et sa reverb, la guitare aigrelette. On sent même que le groupe rigole bien avec cette conclusion à l’orgue de fête foraine.
Circle est encore un exemple de symbiose, non seulement au sein du groupe, mais aussi dans la construction du morceau qui donnerait le tournis. C’est hypnotisant au départ puis on se sent déséquilibré avec cette batterie et ces percussions complètement décalées par rapport au reste des instruments. On imagine tout à fait ce morceau conceptuel sur Kaleidoscope où il aurait été pile dans le thème.
Melt est un joli morceau plus sensuel, très accrocheur. Siouxsie le tient de bout en bout avec sa voix la plus reptilienne. Dans la moiteur et la pénombre, c’est à la fois charnel et fantomatique, un paradoxe !
Je parlais de paon un peu plus haut, nous voilà avec Painted Bird, un titre enlevé et multicolore (eh oui), qui intègre les synthés d’une façon très naturelle, nous ne sommes qu’en 1982. Comme pour la plupart des titres, le groupe prend le temps de développer son ambiance, travaillant également le son avec l’utilisation plus aguerrie des possibilités du studio. Seule la toute fin, en faux fondu et avec l’arrivée d’un synthé tubulaire est un peu déroutante.
C’est en 1981 que Siouxsie et Budgie ont monté le projet The Creatures, ce n’est qu’en 1983 que paraîtra le premier album, cependant l'enveloppant et soyeux Cocoon pourrait très bien en être une composition. La basse et les percussions prennent toute la place, exactement comme le concept qui sous tend The Creatures. C’est un morceau jazzy, très différent de tout ce qu’à fait le groupe jusqu’alors, mais dont on retrouvera des éléments à plusieurs reprises à partir de ce moment. On pense aussi fortement à The Cure, ça finira par avoir du sens, là aussi.
Slowdive conclut l’album, morceau très produit, assez marqué par son époque mais loin d’être désagréable. C’est assez dansant et marqué par des cordes distordues.
Sur l’album d’origine n’est pas présente la chanson Fireworks, ce qui est bien dommage car, non seulement elle est tout à fait dans le thème coloré et festif que feint porter l’album, mais en plus c’est un superbe morceau. Je ne peux que vous recommander de compléter l’écoute de A Kiss in the Dreamhouse par ce titre.
Eh bien quel voyage !
Sous ses atours colorés et chatoyants, A Kiss in the Dreamhouse nous fait croire que l’ombre a fait place à la lumière chez les Banshees. Beaucoup de morceaux ont des titres qui évoquent la couleur, la lumière, (ou les deux avec Fireworks !) Ce n’est pourtant pas tout à fait le cas, la fête masque mal ses côtés les plus inquiétants, l’or ne fait que souligner les teintes les plus sombres à moins que ça ne soit l’inverse. Le titre de l'album, qui laisse imaginer un amour onirique fait par ailleurs référence à une maison close, encore une fois les apparences sont donc trompeuses, et sur la couverture on ne sait distinguer la réalité de son reflet. C’est en tout cas un nouveau succès pour le groupe qui collectionne les albums réussis depuis sa création. Malheureusement ça sera également l’album de la séparation d’avec ce surdoué de John McGeogh qui part, exténué et surtout rongé par l’alcoolisme. La perte est lourde tant il a apporté au son du groupe. Comme le dit Siouxsie avec philosophie et dans un français très mignon lors de son passage dans Taratata en 2007 : “nous avons toujours perdu les guitaristes, toujours”. On imagine mal l’impact que cette décision a pu avoir sur le groupe, celle-ci intervenant quand l’équilibre semblait avoir été trouvé. La suite prouvera pourtant que Siouxsie and the Banshees ne manquent pas de ressources, ni d’amis.