Album issu du livre éponyme, Michel Cloup et Pascal Bouaziz offrent un support supplémentaire qui éclaire le bouquin de Ponthus. Et c'est plutôt bien vu puisque je lis pas de bouquin. D'ailleurs, j'ai rarement vu un ouvrier ouvrir un bouquin et pire, avoir une culture littéraire, et pire pire se payer un bouquin de poésie qui raconte ce qu'il vit déjà au quotidien.
La voilà, l'ingratitude de cette écriture ouvrière, de ces œuvres ouvrières : elles ne sont pas vraiment pour les travailleurs et les travailleuses ! Elles existent pour la mémoire. Pour le témoignage. On est déjà dans un pas à côté ou un pas devant. L'ouvrier, l'ouvrière - celle ou celui qui fait, qui manutentionne pour les autres et pour le compte d'un employeur - ne profite pas de son temps libre en n'écoutant les complaintes des autres travailleurs qui évoquent leurs frustrations et leurs douleurs.
Et puis, en général, on attend de l'écriture une élévation, un plus vertical. Ici, c'est un plus horizontal : c'est la peau de celui que tu aurais pu être.
Cette ingratitude de l'œuvre ouvrière s'adresse aux personnes conscientes de l'exploitation.
Et c'est triste que ce soit si ingrat, comme voué au rebut, car cela peut nous lier pour parler de choses qui comptent et qui nous bouffent.
Ainsi surgissent les mantras tragi-comiques de "A la ligne", des chansons qui juxtaposent recherches sonores et difficulté de dire les douleurs mêlés au prosaïsme répétitif de la manutention.
Je ne vais pas dire que Michel Cloup arrive à nous passionner ou à nous emporter. Mais il arrive à être juste, et j'ai envie de dire comme à chaque fois. Parmi le déluge sonore, j'ai recensé du shoegaze, des sons à la Velvet Underground, du noise, de l'indus évidemment mais aussi du punk rock. La voix mal réveillée, la succession d'actions et de lieu alternent les différentes étapes, des états d'âme ouvrier, allant du paradoxe de la fierté dans l'exploitation à l'aliénation et le rejet.
"Un homme qui ne dispose d'aucun loisir, dont la vie tout entière, en dehors des simples interruptions purement physiques pour le sommeil, les repas, etc., est accaparée par son travail pour le capitaliste, est moins qu'une bête de somme. C'est une simple machine à produire de la richesse pour autrui, écrasée physiquement et abrutie intellectuellement. Et pourtant, toute l'histoire de l'industrie moderne montre que le capital, si on n'y met pas obstacle, travaille sans égard ni pitié à abaisser toute la classe ouvrière à ce niveau d'extrême dégradation." (K. Marx)