Remercier, d’abord, internet pour les prodigieux cours d’histoire prodigués en accéléré aux jeunesses gourmandes : comme dirait Nick Hornby, grâce aux sites de fans et à leur militantisme, il n’existe plus aujourd’hui de véritables trésors cachés, d’injustices scandaleuses. Ainsi, de Nick Drake à Love, tant de songwriters négligés par leur époque trouvent aujourd’hui l’auditoire que méritaient leurs chansons nettement trop vastes et importantes pour ne pas dépasser le culte d’happy few. Remercier ensuite Elliott Smith ou Sufjan Stevens pour avoir, parmi les premiers de l’ère du folk 2.0, accueilli à ce point en leur écriture ces magistrales et magiques leçons d’arrangements des grands anciens : crachins et tempêtes de cordes, rafales de cuivres. En 2010, au moins trois groupes venus du folk solennel continueront de démolir à la main la fine cloison qui sépare le symphonique du siphonné. En attendant le second album de Cocoon et le prochain des jeunes Américains possédés de Magic Kids, c’est une fanfare de Caroline du Nord qui fait tonner la bourrasque dans les sous-bois. “Pour moi, la composition classique est avant tout question d’humilité”, affirme Ari Picker, l’un des sept membres de cette association mixte de bienfaiteurs. Et effectivement, jamais ici de frime virtuose systématique, de surenchère pour BO larmoyante, de violoncelle qui ordonne la tristesse, ni de cordes automatiques sans le moindre sens, la moindre réflexion, comme en raffolent tant de groupes de rock, ces trouillards du silence. Quand ici les archets se lèvent, en des gestes affolés, inédits, ce n’est jamais pour cacher la misère, balayer sous le tapis de cordes des miettes de mélodie : beaucoup des chansons de All Alone in an Empty House, ayant choisi la solitude et la quiétude, ne leur demandent même pas de les accompagner. Ces arrangements assez prodigieux ne relèvent ainsi jamais de la simple décoration : ils revendiquent l’influence conjuguée des Beach Boys et de Bernard Herrmann, de Leonard Cohen et de Danny Elfman, tous économes de la poudre aux yeux et des effets spécieux. Dès la première chanson, le merveilleux All Alone in an Empty House, qui fait la joie triste de tant de blogs depuis des mois, on est frappé, déstabilisé par ce grand écart exorbitant entre humilité et ambitions, gravité et extravagance. C’est sans doute le réalisme noir des thèmes – morts d’enfants, abus sexuels, ce genre de pop lyrics – qui ordonne d’ailleurs l’utopie de ces arrangements : la chanson démarre terre à terre, en un folk rural et douloureux, pour vite aller crever les nuages d’un arc-en-ciel en forme d’escalator pour l’irréel. Comme souvent dans ces chansons, les cordes ne sont pas invitées, elles s’imposent, à rebrousse- poil, ne communient que quelques secondes avec un bout de mélodie pour ensuite continuer de vivre leur propre existence, démesurées et malades : comme chez Arcade Fire, elles sont animales et libres. On n’est pas surpris d’apprendre qu’Ari Picker a suivi des cours au département musique de film du Berklee College of Music : il signe là la BO d’un film impossible, écrit à l’eau de rose et au mauvais sang. (inrocks)