L'album de reprises est un exercice qui s'est banalisé et pas une année musicale ne passe sans qu'on en dénombre deux ou trois. Il donne rarement naissance à des chefs d'œuvre, il est souvent même soupçonné de masquer la paresse de son auteur qui trouve là une occasion de se glisser dans le costume d'autres et de sortir un disque à moindres frais. Mais quoi qu'on en dise, pour le meilleur ou pour le pire, ce type d'album est la plupart du temps un révélateur d'où en est l'artiste dans son parcours. Demandez à Cat Power dans le pire des cas, à Nick Cave dans le meilleur. Dans le tracklisting d'"All dressed up and smelling of strangers", on aperçoit tout de suite des évidences : comment s'étonner en effet que Suzanne ou The times they are a changin' soient présents chez ce digne représentant du folk américain moderne qu'est Micah P. Hinson ? A vrai dire, on aurait même presque envie de pousser d'avance un soupir de lassitude, tant cela sent la banalité à plein nez. Et puis, on entre dans le disque, et une première écoute nous donne l'impression qu'effectivement, tout ici est bien sage et un rien pépère, même si ça fait toujours plaisir d'entendre le grain inimitable de la voix de Micah P. Hinson. C'est d'ailleurs cette voix qui va nous faire revenir à cet album. Car, au rayon des évidences, on aurait vite rangé la présence de My way, autre vieille scie par excellence. Hors, ce titre ( on parle bien de la version anglaise) a toujours été porté, pensé même, pour des voix viriles et puissantes, soit à peu près tout le contraire de notre ami Micah. Et pourtant, il se dégage de sa version quelque chose de fort. Car sur ce titre, la production et l'instrumentation sont complètement dépouillées, on imagine le morceau emballé en une seule prise, avec voix et guitare et rien d'autre. Ce qui a pour conséquence de démythifier le morceau en le rudoyant un peu, comme si Micah P. Hinson voulait en faire l'emblème d'une vengeance des faibles qui s'accaparent les apparats des puissants. Là apparaît alors la clé de ce disque. A côté de grands noms et de standards, s'alignent des morceaux d'artistes plus récents et à notoriété bien moindre, sans qu'il y ait pour autant de hiérarchie établie. Un des sommets de l'album est ainsi le Not forever now, limpide et poétique, des méconnus Centro-matic. Enfin, sa version de While my guitar gently weeps est un bijou de sagacité, qui capte le caractère planant du morceau tout en lui donnant une aura inquiétante. " All dressed up and smelling of strangers" n'est donc pas un objet inutile, mais plutôt un voyage dans l'univers musical de son auteur, qui assume son héritage sans dresser de statues ni vulgariser. Un disque sur lequel on joue une musique sans âge, sans clâmer qu'on faisait mieux avant, ni au contraire tomber dans le mépris du passé. Et quand c'est un type comme Micah P. HInson, soit tout sauf un prétentieux, qui s'y colle, le message vaut d'être écouté. (indiepoprock)
Auréolé d’une gloire toute confidentielle auprès des amateurs de folk ténébreux et de perdants magnifiques, Micah P. Hinson s’autorise un petit plaisir solitaire en guise de quatrième (très) long format : un double album de reprises. Peu ont la puissance déchirante des compositions du jeune homme, quelle que soit la formule choisie (épure acoustique sur le premier volume, densité charbonneuse sur le second). Grave et traînante, la voix très particulière de Micah P. Hinson est une arme à double tranchant, parfois touchante mais souvent irritante, posée avec une certaine désinvolture sur des relectures scolaires de morceaux piochés dans un vaste répertoire folk et pop. Ses versions de The Times They Are A Changin’ (Bob Dylan) ou Suzanne (Leonard Cohen) sont d’une platitude désolante. On connaît un peu le parcours chaotique de l’Américain et on imagine qu’il a particulièrement investi My Way mais ses dérapages vocaux y hérissent le poil. L’immense Slow And Steady est réussie mais en tout point calquée sur la version originale de Pedro The Lion. Même chose pour This Old Guitar de John Denver. Le chant de Hinson produit sur la longueur un effet de monotonie grisâtre, que seule une instrumentation un peu ample et aventureuse permet de contourner, comme sur Runnin’ Scared (Roy Orbison) qui passe insensiblement d’une rythmique martiale à une valse désœuvrée avec cordes sinueuses. Are You Lonesome Tonight? noie son chagrin dans les effluves de claviers fantomatiques. Une version liquide et hypnotique de While My Guitar Gently Weeps (The Beatles) clôt en beauté un diptyque flemmard et complaisant qui n’apporte rien à personne. (magic)