"A chaque fois que j'entends un morceau chiant, c'est la musique de Nils Frahm. (...) Alors je comprends que quand on n'a pas trop envie de se casser la tête et qu'on veut quand même impressionner ses collègues en se touchant la nouille sur la Grande Musique, on peut être tenté de tomber dans le panneau. Mais franchement, vous méritez mieux que cette musique de Spa composée sur Ableton une main dans les cheveux (bon ok ça c'est méchant)."
Le Drone, 2018.
Je suis quelqu'un de faible, je me laisse souvent bercer par la presse musicale lorsque je découvre un album. Je préfère d'ailleurs lire des avis élogieux pour me faire un préjugé positif sur l'album que je m'apprête à écouter plutôt que de parcourir des critiques incendiaires me laissant un a priori douteux. Et parfois, je me documente sur des points de vue divergents, principe du contradictoire oblige. En l'occurrence, l'article du Drone que je cite plus haut m'a particulièrement remonté. Je cherchais un argumentaire solide m'indiquant en quoi l'album que je m'apprêtais à écouter serait susceptible d'être mauvais... Quelle déception ce fut quand je me lu les deux paragraphes de cet article. On le sait bien, Le Drone est un webzine mordant. Il est de bonne qualité, ne tire pas sur des ambulances, et s'attarde le plus souvent sur des projets obscures, des groupes locaux, des classiques oubliés plutôt que de pondre un nième article sur la sensation indie du mois. Un bon webzine quoi. J'ai toujours pris leurs articles avec légèreté, ils sont décalés et jouissent d'une liberté totale dans leur ligne éditoriale. Ce que je trouve dommage, c'est qu'ils tombent ici, dans ce billet lamentable à l'encontre de Nils Frahm, dans le snobisme forcé. Il y a un parti-pris réel, ce n'est pas un article anodin ; faut dire qu'un comité de rédaction a approuvé ces quelques lignes pour être publié sur leur site. Nils Frahm est l'un des artiste de musique néo-classique les plus populaires de notre temps, impossible pour la haute sphère patricienne que représente Le Drone de se laisser berner par un artiste affichant sold-out dans les grandes salles de Paris avec sa musique supposément de niche (entre guillemets). Le fond du problème repose sur la publicité de nos gouts : certains gugusses se défendront d'aimer telle ou telle chose, de peur de se faire ostraciser par leur semblables culturés et avertis. Rapide exemple avec une série que tout le monde connait, Rick & Morty. Rick & Morty est une série animée réellement cool mais dont la fanbase tarit le blason à un point tel qu'affirmer son amour pour ce show assure un lynchage immédiat. Quel est le rapport avec Nils Frahm ? Et bien, depuis que sa musique est assez reconnue pour être vendues dans les supermarchés, il n'est apparemment plus cool d'afficher de l'affection pour le travail du monsieur. Attention, je vous vois venir bande de petits malins : Nils Frahm croule sous les dithyrambes, chaque magazine mainstream s'efforcera de faire l'éloge la plus somptueuse de son oeuvre. Mais un bastion élitiste se contraint envers et contre tout à user de la critique facile pour démonter ce nouvel album, sans fondements. Les critiques adressées à Nils Frahm pourraient tout aussi bien valoir à l'encontre d'Arvö Part ou Terry Riley ; si Nils Frahm peut-être réduit injustement à de la musique de spa, alors Tangerine Dream peut l'être tout autant. Et je ne dis pas que l'on ne peut aimer le travail de Nils Frahm : faut juste pousser la réflexion un peu plus loin qu'un misérable "gneugneugneu musique de spa gneugneugneu".
Ce phénomène de descendre, de manière illégitime et avec des raccourcis foireux, un artiste qui perce dans un style d'habitude réservé à un petit nombre d'éclairés (l'ambient minimalisme truc machin chouette) ne se limite pas au Drone, mais également à certains de mes éclaireurs, pourtant à férus de ce genre musical. Même pour ce qui est de mon entourage ! Je devrais avoir presque honte de me pointer chez mon disquaire de quartier fan de musique concrète pour lui quémander une copie de All Melody. Celui-ci ne l'aura probablement qu'écouté d'une oreille, pour ensuite dire à tous ses clients "de toute façon, Nils Frahm, c'est surfait". Voilà pourquoi j'écris cette critique, ou plutôt cette réaction à chaud. J'écris pour clamer mon chagrin face à cet élitisme bébête qui ferait passer Nils Frahm pour un plaisir-coupable. Arrêtez de dénigrer quelque chose d'évidemment-pas-mauvais sans même prendre la peine d'aligner un argument intelligent. Manquerait plus qu'on nous dise que Stravinsky était un vendu.
Tant que je suis là, faudra quand même je vous parler de l'album en soi. A vrai dire, je n'avais pas l'intention d'écrire une critique entière sur l'album. Je n'ai jamais été grand fan de Nils Frahm ou de son label Erased Tapes Records, mais je serais de mauvaise foi si je déclarais que leurs sorties sont médiocres. Nils Frahm est un artiste consistant qui délivre de bons albums et d'excellents live, ni plus ni moins. Je ne suis pas des plus réceptifs à son style, mais bordel c'est quand même un compositeur et musicien accompli. Nils Frahm, en quête de liberté totale, a d'ailleurs construit lui-même un studio et espace de création aux bords de la rivière Spree à Berlin. Du câblage aux boiseries, tout a été méticuleusement réfléchi pour que les créations du compositeurs allemands aient non seulement une acoustique parfaitement accordée à son style, mais également pour se défaire des contraintes techniques qui se dresseraient face à lui si ce studio n'était pas entièrement sien. Et merde, je défie quiconque de me dire que le rendu sonore des morceaux composants All Melody n'est pas impeccable. Je ne trouve aucun renseignement à propos de la phase de mixage et de mastering, et c'est bien dommage. L'ingénieur s'étant occupé de cela fait honneur aux compositions. Elles me rappellent d'ailleurs le travail d'orfèvre que fût Immunity de Jon Hopkins il y a cinq ans : un disque stellaire et flamboyant avec une dynamique aussi lumineuse qu'une supernova. Ecouter Jon Hopkins ou Nils Frahm est tout simplement un régal pour les oreilles audiophiles.
Pour ce qui est de All Melody, de manière concrète, ça me servirait peu que de vous détaillez pourquoi l'album est réussi. Les douze morceaux se dévoileront eux-même à vous qui l'écouterez. All Melody est une oeuvre dont l'approche est aisée pour qui aime le minimalisme et la sérénité. Un bon casque audio vous immergera complètement pour les 80 minutes que comptent l'album. Chacun des morceaux évolue lentement au fil de sa trame mélodique, une douceur infinie parcourra votre corps à l'écoute de ces harmonies enchanteresses. Un orgasme auditif pourra vous envahir lors de cette immersion, alors laissez-vous porter par son ambiance reposante. All Melody est un album qui vous prendra par la main, vous caressera les tympans à la manière d'une berceuse. L'album revêt une dimension orchestrale très fine, ponctuée de kicks et hi-hats des plus délicats. Les synthétiseurs et machines électroniques se fondent parfaitement dans l'atmosphère classique sur laquelle se base le compositeur. Les textures sont enivrantes comme de l'opium birmane, sublimées par des percussions tantôt empruntées à la techno, tantôt concoctées à l'aide de marimba. Oh et faites pas attention à ma note, un sept est très généreux venant de moi. Je vais laisser un peu l'album décanter, il deviendra probablement un huit dans les mois à venir.
Et n'oubliez jamais : ambient, minimalisme, new age, musique de chambre, tout cela n'est qu'au final de la musique de spa, composée sur Ableton une main dans les cheveux (sic).