A$ap Ferg renoue avec l’héritage new-yorkais

A$ap Ferg. L’harlemite aux dents argentées et aux flows faciles. Ferg incarne ces rappeurs new-yorkais qui se sont affranchis de la caisse claire de Havoc, des samples de soul ou de jazz, des ambiances de cave, des pigeons sur les pochettes d’album et de tout ce qui peut se rapporter au rap new-yorkais de la fin des 90’s – début des 2000’s. Evidemment, quand j’ai découvert que ce new-yorkais de naissance prenait le flow des rappeurs du Sud et appellerait son premier album Trap lord, le terme de « trap » venant là aussi d’Atlanta, mon sang n’a fait qu’un tour. Harlemite rimait désormais avec « sodomite ». Ferg (et sa bande de lâches) était le nouveau fossoyeur du rap, l’incarnation du mal, le totem des illuminati dans leur processus de débauche du rap jeu, le responsable de la crise de l’industrie du disque, le traitre qui voulait du mal à l’équipe de France et qu’il fallait éliminer selon Patrice Evra et j’en passe.


Puriste pur porc que j’étais, j’ai pourtant cédé à la tentation : j’ai écouté ce dont le bougre était capable… et j’ai bougé mon corps frêle sur le remix de Work, parasité tant de playlists avec Shabba et réclamé ses morceaux à tous les DJ que j’ai pu embêter en soirée. Amateur de grillz depuis la période H-Town, cette facette de Ferg ne pouvait que valider la sympathie que j’avais pour le bougre et enclencher mon déclic pour la nouvelle vague du rap des années 2010 et ranger mes critiques d’ancien désabusé, connaissant aussi bien le rap que sa poche urinaire.


Les talents de rappeur d’A$ap Ferg sont rarement (à juste titre ?) plébiscités, mais force est de constater que son Trap Lord tenait plus que bien la route. Sans être un classique, ni une révélation, ce premier album a eu au moins le mérite de créer la surprise. Pour un rappeur au talent limité en apparence, Trap Lord possédait une homogénéité qui permettait d’écouter l’album d’une traite, sans se boucher les tympans. Le MC n’évoluait pas dans un seul et unique registre et en révélait un peu plus que les clichés et éléments de langage jusque-là véhiculés.


Comme tout artiste connu pour un ou deux tubes, A$ap Ferg était retombé dans l’oubli. Puis, New Level est sorti :


La recette toute faite : on invite le mec le plus chaud du moment, on pond un refrain simpliste au possible, on met un cuir bien gros et sans finesse, on prend un flow facile que le monde entier pourra reproduire, et on les laisse s’ambiancer dessus. Mais la recette n’a pas cramé : on s’en délecte encore avec le plaisir le plus primaire.


Always Strive And Prosper : les mots qui se cachent derrière l’acronyme A$ap. Un titre fort pour un album important dans une carrière : le second, celui de la confirmation.


Très vite, on se demande dans quelle direction notre cher Ferguson s’aventure. La combinaison avec Skrillex sur Hungry Ham ne plaira peut-être pas aux fans de la première heure. Le refrain de Strive, avec son jeu de caisses typique des tubes pop, détonne. Plus loin, les premières notes de Yammy Gang ou Swipe Life interpellent. Seuls les deux premiers titres cités sont de véritables nouveautés pour Ferg qui s’essaie à de nouveaux registres… avec une certaine aisance.


Côté tubes, on retrouve New level, Let It Bang (feat. Schoolboy Q), Yammy Gang (feat. A$ap Mob et Tatiana Paulino) avec les couplets au flow saccadé de Ferg et Rocky et ses onomatopées folles, Swipe life (feat. Rick Ross). Uzi Gang [feat. Lil Uzi Vert (ça ne s’invente pas) et Marty Baller) vous fera également sauter dans tous les sens et hurler comme une brute en soirée. Bref, on bouge la tête, on lève les bras, on se sent possédé, on braille, on reprend un énième cocktail, on connaît les paroles par cœur parce que 80% du temps elles ne sont pas d’une profondeur baudelairienne, on s’en * les ******, on se sent chaud… Force est de constater qu’A$ap Ferg parvient à transmettre des émotions, aussi peu raffinées soient-elles. C’était pour le côté cour.


Côté jardin, on trouve pêle mêle un A$ap Ferg en pleine réminiscence sur Grandma, traitant des problèmes de son oncle dans Psycho ou encore en pleine tourmente sentimentale dans Let You Go. On sait bien que la vie de Ferg n’a pas été un long fleuve tranquille et il aurait été dommage que ces quelques scènes de vie soient occultées dans la conception d’un album au titre aussi fort. Si I Love You (feat. Chris Brown et Ty Dolla Sign) tient la route, on pleurera devant la niaiserie du refrain de Big Sean sur World Is Mine.


Détail important : A$ap Ferg renoue avec l’héritage new-yorkais sur ces morceaux : le niveau des basses est diminué, l’instrumental possède une mélodie plus légère et planante et le rappeur est plus appliqué sur le fond qu’à l’accoutumée.


Always Strive And Prosper confirme les impressions du premier opus : si A$ap Ferg est avant tout connu pour ses tubes, il est tout autant de capable de se produire sur un album sans ennuyer l’auditeur. L’album aurait pu se faire sans invité de marque que la qualité du disque n’en aurait pas été altérée.


Les attentes autour d’un disque d’A$ap Ferg ne sont pas les mêmes que pour Kendrick Lamar ou J. Cole. A$ap Ferg sait faire du Ferg, surprendre et évoluer musicalement. On n’attend pas Ferg mais on est bien content quand il est là. Peut-être retournera-t-il un jour dans l’anonymat sans que l’on ne s’en rende compte. Peut-être continuera-t-il de nous surprendre et saura s’établir dans le rap jeu. Après tout, on croyait aussi que son comparse A$ap Rocky n’était qu’un phénomène de mode.


L’Ours Blanc pour Hyconiq.com

HYCONIQ
6
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le 1 juil. 2016

Critique lue 312 fois

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