Amor Doloroso
7.4
Amor Doloroso

Album de Jacques Higelin (2006)

Il y eut les années fastes, où l'on croquait ses morceaux nouveaux avec un mélange d'impatience et de gourmandise. Puis il y eut les années ternes, où l'on déballait ses disques avec une appréhension teintée de réticence, comme un refus têtu de faire le deuil d'un long compagnonnage. Jusqu'à cet album-ci, le disque inespéré. Glissé certes, lui aussi, un peu prudemment entre les lèvres fines du lecteur de CD... mais dégageant aussitôt ce charme indicible qui nous avait jadis tant séduits. A l'heure où l'on ne l'attendait plus, l'artiste est donc de retour, bardé de sa verve et de sa poésie, de ses audaces et de ses tendresses. Bien sûr, il a ses tics, ses envolées verbales un brin caricaturales, ses systématismes qui pourront énerver les plus réfractaires à l'emphase du personnage. Mais voilà près de vingt ans (depuis Tombé du ciel, en 1988) qu'on ne l'avait entendu si inspiré. Si osé, d'abord, célébrant dès la première plage le désir et le plaisir dans un savoureux exercice de style ; si chaleureux, ensuite, déclinant en douceur les belles nuances de sa voix de bluesman ; et pour tout dire si doué, passant avec habileté de la rudesse du rockeur intérieur à la légèreté aérienne du chansonnier. Ces dernières années, l'animal blessé avait retrouvé du souffle en reprenant Trenet ; l'influence du maître à chanter continue d'irriguer cet album très charnel, réalisé avec une sobriété bienvenue par Rodolphe Burger. Les vieux fans, c'est sûr, retrouveront des échos du passé. Les néophytes, sans doute, découvriront qu'en dépit des modes qui ont tendance à l'oublier l'un des créateurs les plus attachants de la chanson française se nomme bel et bien Jacques Higelin. Valérie Lehoux.(Télérama)


Ce matin, mon petit-fils m a offert le nouvel album de Jacques Higelin. Il hurlait : Higelin, papy, tu te souviens ?? J'ai lâché ma compote et l'ai calmé d'un coup de canne sur le front. Petit con, va. Il ne suppose même pas que j'ai fabriqué son père en écoutant Cet enfant que je t'avais fait, duo entre Jacques H. et l'autre folle, là, la Brigitte Fontaine. Il sait encore moins que j'ai atteint le paradis des petites pilules acides grâce à Mona Lisa Klaxon : on était en 1975, et Higelin se prenait pour un rockeur, et nous avec. Après, j'ai dormi debout durant un interminable concert au Printemps de Bourges, et puis en 77 Higelin a chanté Pars, et je suis parti, ailleurs. Bon, alors, ce nouveau disque ? Dites, je regarde le livret, c'est une affaire de génération : pour la mienne, le disque commence à la pochette. Alors, il y a des photos très classe, en noir et blanc, une pose de gisant, une embrassade, toute en cheveux mêlés, entre le filial et l'amoureux, et un trou rond au recto, comme le Beretta de 007. Mon petit-fils, tout en épongeant le sang, me fait remarquer que le disque a été enregistré en Alsace, rassemble une poignée d'amis (dont le fidèle percussionniste Dominique Mahut), et est produit par Rodolphe Burger, ex-patron de Kat Onoma.Je joue de nouveau de la canne, au moment où il bavasse sur cet album qui fait suite à huit années de repli sur soi du compositeur (1997, Paradis païen), un long interlude consacré au répertoire de Charles Trenet, et un profond élagage au sein d'une cohorte de nouvelles compositions. Je ne sais pas qui est ce Burger, mais j'ai deux oreilles : suffisant pour apprécier les arrangements, l'instrumentation tout doux tout dégraissé, le chant en confidence collé contre la membrane du microphone, et les thèmes un peu naïfs, car très romantiques. Jacques Higelin chante les mélodies qu'il a dans la tête, avec un peu de cordes, des pianos qui gonflent les voiles comme seul Léo de Monaco savait les faire gonfler, et des mots d'amour un peu tristes, un peu absolus, puisqu'après tout ce sont des mots d'amour. J'explique tout cela à mon petit-fils, qui ne sait qu'apprendre par cœur ce qui est imprimé dans les journaux. Après la dernière chanson (J'aime, joli titre de clôture), je m'endors. Au réveil, je m aperçois que mon petit-fils est parti. Il a emporté le disque. Petit con, va. (Inrocks)
Difficile d’être objectif avec Jacques Higelin. Cela remonte bien des années en arrière : Paris, Le Grand Rex, dimanche 9 février 1992. Un concert en matinée qui s’était écoulé pendant plusieurs heures sans que le public ne veuille relâcher le grand Jacques, pas avare ni sur le temps, ni sur l’énergie. Un premier concert et pourtant on savait avoir vu quelque chose d’assez incroyable, à en "Tomb(er) du Ciel"… Mais comme tous les amours de jeunesse, on les laisse filer avec l’adolescence pour des choses un peu plus radicales - « ouais la chanson française ça craint, j’te f’rais dire ! » Pas de cassure brutale mais métal, grunge, rock alternatif et autres avaient fait consciencieusement leur travail de sape. Pourtant en dix ou douze ans, on n’avait pas raté tant d’épisodes. Même après qu'il fut viré comme un malpropre par sa maison de disques, ses fans ne l’avaient pas pour autant renié, continuant à suivre sur scène ce phénomène chantant. C’est d’ailleurs par cette petite porte que Jacques refait surface en reprenant le répertoire d’un autre grand monsieur de la chanson française dans son spectacle "Higelin enchante Trenet". A nouveau au premier plan, il retrouve label à son pied, qui sort un live de ce tour de chant, préparant alors le terrain pour cette suite discographique. Huit ans donc que nous attendions, depuis "Paradis Païen", paradis lointain, paradis perdu que l’on retrouve tel que nous l’avions laissé dès les premières secondes d’écoute. L’homme est là, au rendez-vous, sa magnifique queue de paon en éventail qui pourtant jamais ne pavoise, ni cherche les Prises de Bec. Une nouvelle série de compositions originales, produite par Rodolphe Burger (ex-leader de Kat Onoma) dans son studio alsacien et mixée par Ian Caple (Tindersticks, Alain Bashung, Stina Nordenstam…), autre sage des manettes. Depuis toujours et à l’instar d’un Gainsbourg mais à sa manière, il réconcilie music hall et rock sans chercher à imiter, mais en réalisant la synthèse de ces multiples influences… Avec les années peut-être s’est-il assagi, en apparence en tout cas, car le jeu d’écriture, la maîtrise des mots est toujours poussé jusqu’au bout du cerveau, de la plume, de la lune. Le monde d’Higelin reste celui d’un doux rêveur un peu dingue les pieds sur terre mais la tête dans les nuages. Un ami que l’on connaît depuis si longtemps que c’est toujours un plaisir de le retrouver pour Se revoir et s'émouvoir, toujours avec la même fraîcheur et spontanéité. La biographie se conclut non sans humour par « Vous avez entre les mains l’excellent premier album d’un tout jeune auteur compositeur interprète dont vous entendrez sûrement reparler » et c’est finalement cette part d’enfance indestructible qui fait de ce conteur un personnage que l’on aime tel que… et sans douleur ! (indiepoprock)
bisca
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le 28 mars 2022

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