Depuis que je suis petit ou presque, j’entends parler des archives de Neil Young, de ces rééditions définitives du catalogue, de ces plantureux coffrets remplis d’inédits et de raretés qui feront tourner la tête de l’admirateur transi. À tel point qu’il fût un temps où j’évitais d’acheter les vieux albums du Loner en midprice pour ne pas avoir à les racheter quand l’heure viendrait. Heureusement, j’ai craqué bien avant, car on ne peut décemment vivre sans et l’heure a beaucoup tardé à venir. On a même cru parfois que ces archives n’existaient jamais, que c’était une chimère, une promesse que Neil Young ne tiendrait que mort et enterré. Mais elles existent bien, à tel point même que nous en possédions une partie sans le savoir : ce premier volume recycle Live At The Fillmore East 1970 et Live At Massey Hall 1971 dans lequel le fan a déjà investi il y a quelques temps.
C’est l’une des deux seules raisons que cet incroyable coffret nous donne de ronchonner. L’autre, c’est cette sortie en trois éditions qui vous offre l’occasion de faire le point sur votre statut social et votre pouvoir d’achat : il y a l’édition en Blu-ray pour cadres fortunés, validée et défendue par papy en personne (qui coûte un bon tiers de SMIC), l’édition DVD pour les classes moyennes supérieures et l’édition CD pour le lumpenprolétariat (l’équivalent d’une carte orange quatre zones). C’est cette dernière version qui est entre nos mains. Sans regret. Car avant d’être une affaire de bourses,Archives Vol.1 1963-1972 est une affaire de bits. C’est probablement ce qui a pris tant de temps : les masters ont été complètement nettoyés et bénéficient d’une résolution stupéfiante : 24 bits/192 kHz en Blu-ray, 24 bits/96 kHz en DVD et 16 bits/44,1 kHz en CD. Je recopie ces chiffres, qui ont l’air d’impressionner les connaisseurs mais sonnent comme du chinois pour nous. A priori, ces obsessions audiophiles nous en touchent une sans faire bouger l’autre. Elles semblent en décalage complet avec la musique de Neil Young. En réalité, même sur notre édition pour pauvres, gravée sur de bons vieux CD et livrée sans livret, le son est juste incroyable. Osons l’enthousiasme légèrement familier : c’est une putain de révélation, qui justifie pleinement la présence sur le coffret de chansons issues d’albums que nous avons déjà usés jusqu’à la corde. Croyions nous. On redécouvre littéralement les classiques de Buffalo Springfield, de Neil Young (1968), Everybody Knows This Is Nowhere (1969), After The Goldrush (1970) et Harvest (1972), dont chaque détail est ici restitué avec une générosité et une chaleur inouïes. Le moindre accord de banjo, la moindre corde délicatement pincée, la moindre inflexion rythmique apparaissent avec une netteté incroyable (franchement, on n’a jamais entendu Heart Of Gold comme ça). Le phénomène est valable sur les morceaux électriques, acoustiques mais aussi plus orchestrés (la version inédite de A Man Needs A Maid est stupéfiante, l’orchestre est devant nous). Ce n’est bien évidemment pas tout : ce premier volume des Archives, qui couvre la décennie 1963-1972, offre son lot de raretés, inédits, prises alternatives. Un trésor inestimable qu’on aura bien du mal à détailler et à épuiser. Le premier disque est assez émouvant, esquissant le portrait d’un artiste qui grandit doucement, du surf rock de The Squires à une triplettes de pépites folk rocailleuses et solaires enregistrées avec Comrie Smith, en passant par les première démo en solo (Sugar Mountain, Nowadays Clancy Can’t Even Sing), où la voix de Neil Young est douce et étonnamment posée. Il y a aussi des morceaux totalement inédits, comme l’extraordinaire The Rent Is Always Due, qui rejoint illico le club des classiques du Loner (Just put your blue jeans on, grab your guitar and write a song/Don’t think I’m kiding you, the rent is always due). Ailleurs, on reste également scotché par une version puissamment mixée de I’ve Been Waiting For You (avec claviers enchevêtrés et guitares saturées), une rareté avec le Crazy Horse (sublime Everybody’s Alone, avec sa guitare écorchée vive) ou des live intenses, parfois jouées les deux pieds cloués au sol, d’autrefois livrées en apesanteur (Only Love Can Break Your Heart par Crosby, Stills, Nash & Young). Si Archives Vol.1 1963-1972décevra peut-être qui pensait y trouver douze albums complètement inédits, ce plantureux coffret est bien plus que le témoignage figé d’une époque bénie, qu’une page d’histoire en haute définition : c’est une invitation à se réapproprier un héritage qui n’a jamais été aussi pertinent et important. Si quelqu’un (?) avait besoin d’une confirmation que l’œuvre de Neil Young est non seulement un monument de la musique américaine mais aussi l’une des plus importantes affaires de l’histoire du rock, elle est là. Et ce n’est qu’un début (Magic)