En 1990, Jeff Lynne est au sommet de la vague. L'Electric Light Orchestra est mort et enterré depuis quatre ans, mais c'est un décès auquel on s'attendait et il ne s'est pas trouvé grand-monde pour pleurer sur la grassouillette dépouille du groupe au terme de son éprouvante agonie. Depuis, Lynne s'est taillé une réputation de producteur à succès, à l'origine des retours fracassants de vieilles gloires comme Roy Orbison (Mystery Girl), Del Shannon (Rock On!) ou même George Harrison (Cloud Nine). L'aventure des Travelling Wilburys avec Orbison, Harrison, Tom Petty et Bob Dylan a également bien marché pour quelque chose d'aussi peu prémédité. Succès en groupe, succès derrière la console, tout ce qui manque au palmarès de l'homme aux Ray-Ban, c'est un succès en solo.
Mais est-ce vraiment ce qu'il cherchait avec cet Armchair Theatre ? Je ne pense pas. Certes, la production est soigneusement lissée, avec tous les gimmicks lynnesques de l'époque, déjà vus dans Cloud Nine de Harrison : Every Little Thing est en tous points la petite sœur de Got My Mind Set on You, cuivres encombrants et grosse caisse omniprésente à l'appui. Certes, il y a des titres qui semblent avoir été écrits pour devenir des hits (dans les faits, les épouvantables clips de Every Little Thing et Lift Me Up se baladeront un moment sur VH1 avant de disparaître sans laisser de traces). Mais après tout, la production qui pète et les mélodies accrocheuses, c'est simplement la façon de faire de Lynne depuis vingt piges, et il n'y a probablement pas de calcul commercial conscient derrière ce disque.
Au final, Armchair Theatre est un album décidément plus wilburyien qu'orchestral : à peine une demi-heure de long pour cette petite douzaine de titres de facture somme toute classique. Point d'expérimentation néo-classique ici (tout juste des sonorités vaguement orientalisantes sur Now You're Gone), l'ambiance est simple, amicale et chaleureuse, très rétro (les reprises des standards Don't Let Go, September Song et Stormy Weather annoncent quelque part le Long Wave de 2011), aussi confortable que le fauteuil de Jeff sur la pochette. Je dirais presque que c'est un album « rayon de soleil »... s'il n'y avait ces paroles où revient avec insistance le thème de l'absence (Nobody Home, Now You're Gone), quand ce ne sont pas carrément des appels au secours (Lift Me Up, What Would It Take, Save Me Now — soit dit en passant, la seconde est sans doute la meilleure chanson à message écolo que j'aie entendue depuis un bail). Mais il ne faut probablement pas trop lire entre les lignes : sérieusement, qui irait écouter un album de Jeff Lynne pour les paroles ? (Pour rappel, c'est le type qui a pondu des trucs aussi grammaticalement immortels que « did you see your friend, crying from his eyes today? »...).
Ça ne vous plaira sans doute pas si vous êtes allergique au « son » Jeff Lynne. Mais si vous prenez votre pied sur ELO ou les Wilburys, foncez, vous ne serez pas déçus.