Un album conceptuel mené par un storytelling bien ficelé

En écoutant tout ce qu’a pu faire Danny Brown durant sa carrière, difficile de ne pas constater que le rappeur est cinglé. De sa voix haut perchée, ses looks extravagants à ses paroles encensant la drogue, le ODB des temps modernes est à classer parmi les ovnis de la dernière vague d’artistes. Mais c’est justement parce qu’il sort de l’ordinaire qu’on le trouve intéressant. Ses concepts ont été novateurs à partir de XXX, ses instrumentales sont étranges tout en étant addictives et en termes de flow et de lyrics, Danny Brown est clairement parmi les meilleurs du rap jeu actuel. C’est donc avec une grande impatience que l’on attendait Atrocity Exhibition, son deuxième album studio annoncé et teasé à peine quelques mois avant sa sortie.


Pour vous donner les grandes lignes, Atrocity Exhibition est un album conceptuel mené par un storytelling bien ficelé. À travers les 15 titres du projet, le rappeur nous plonge dans son quotidien où la drogue s’ingurgite comme de l’eau. D’ailleurs, le ton est donné dès le premier couplet de Downward Spiral, l’intro du projet :



I’m sweating like I’m in a rave



Been in this room for 3 days



Think I’m hearing voices



Paranoid and think I’m seeing ghost-es, oh shit



Phone keep ringing but I cut that shit off



Only time I use it when I tell the dealer drop it off



L’album à peine entamé, c’est un Danny Brown complètement torché que nous retrouvons. Au travers de lignes hilarantes, il relate un réveil qui rappellerait certains des nôtres. Vous savez, celui après une soirée bien arrosée où on ne sait plus trop où l’on se trouve. Enfin, un cran au-dessus tout de même puisque le rappeur sombre dans une paranoïa folle dès le matin. Une entame d’écoute assez légère en somme qui représente le pic de l’iceberg de sa vie de rockstar cocaïnée et bien plus encore.


En effet, tandis que les premiers titres de l’album évoquent le bien-être et la puissance que lui ont procuré la consommation et la vente de drogue, Atrocity Exhibition prend graduellement une tournure sombre, voire même effrayante au fil des titres. Que ce soit par leurs paroles ou leurs ambiances musicales qui reflètent le bourbier dans lequel Danny Brown s’est empêtré. Ses regrets commencent doucement à émerger partir de Rolling Stones, l’un des morceaux les plus mélodieux de l’album avec ses notes de piano proches du synthé, la guitare qui apporte de la profondeur au titre et bien sûr, la voix assez basse de Petite Noire au refrain :



Time rough but it got rougher



Weight heavier up on my shoulders



Living crooked ’til it’s over



Can’t be straight, can’t be sober



Thought process so immature



Can’t make it up, up out the sewer



Presque fier de sa vie de dealer dans Tell Me What I Don’t Know, il aura fallu un titre pour que Danny Brown se rende compte du mal qu’il a fait à son entourage pour survivre.


Et là dites-vous bien qu’on reste dans une période plutôt festive du projet. Vous avez Really Doe, l’excellent banger en collaboration avec Ab-Soul, Kendrick Lamar et Earl Sweatshirt qui suit. La production sombre et épique de Black Milk est remarquable sur ce titre mais ce qui rend Really Doe aussi puissant est la prestation des quatre rappeurs figurant sur le son. Earl est mon favori sur ce dernier par la percussion et la puissance qu’il apporte au titre mais objectivement, personne n’a mangé qui que ce soit dans cette collaboration.


Là où l’ambiance valse réellement, c’est à partir du morceau Ain’t It Funny. Il suffit d’entendre son instrumentale qui est tout sauf cohérente : la mélodie indescriptible, la trompette en fond qui n’est jamais sur le tempo, la voix haut perchée de Danny Brown sur tout ça… on est clairement entré dans un bad trip :



Upcoming heavy traffic Say ya need to slow down Cause you feel
yourself crashing Staring in the devil face But ya can’t stop laughing



[…]



Can’t quit the drug use Or the alcohol abuse Even if I wanted to Tell
you what I’m gonna do I’ma wash away my problems With this bottle of
Henny



Ces paroles viennent du troisième couplet d’Ain’t It Funny et à vrai dire, j’aurais pu le copier/coller en entier tellement il représente parfaitement le combat de Danny Brown. Piégé par la drogue et l’alcool, ces vices sont malheureusement ses seules sources de réconfort. Il est conscient que ça lui bousille la santé mais en même temps il ne peut s’empêcher d’en profiter. À partir de là, la descente aux enfers est brutale.


Le rappeur nous donne à peine le temps de respirer en balançant des morceaux plus bizarres les uns que les autres. Il sombre dans un cercle de désir allant d’excès en excès. Les musiques font du bruit, la voix de Danny Brown semble monter de plus en plus haut et aller de plus en plus vite. L’ambiance dans laquelle nous sommes embarqués est vraiment pesante voire même effrayante. Le refrain de Dance In The Water reflète parfaitement la situation dans laquelle nous plonge Danny Brown pendant six titres à ce stade :



Dance in the water



And not get wet



Not get wet



Not get wet



Le sens devrait être évident pour tous ici mais cette métaphore exprime la mode de vie arboré par l’artiste : consommer à fond tout en évitant de peu la mort. L’ambiance hippy de cette chanson appuie ce côté « Carpe Diem » car on y ressent énormément d’insouciance à cause des voix enfantines en fond tandis que la production prend graduellement de l’ampleur. Danny Brown continue de s’enfoncer dans ses vices, et cela de son plein gré.


J’ai beaucoup insisté sur le fait que les productions soient extrêmement atypiques. Certaines seraient carrément inutilisables pour n’importe quel autre rappeur et pourtant, Danny Brown les gère d’une telle maestria qu’elles deviennent hypnotiques. Prenons l’exemple de White Lines : le boom bap beat est sombre et pourtant les notes de piano rappellent les comptines pour enfants. Pour mettre cette dernière en valeur, Danny Brown chantonne sur le morceau ce qui lui donne un côté psychopathe tout en apportant un aspect terrifiant au morceau… du génie.


Quinzième morceau, Hell For It, on arrive à la fin de l’album et c’est là que l’on perçoit le réel but d’Atrocity Exhibition. Sur une production très sombre, minimaliste mais calme, Danny Brown use un ton plus sobre. Nous ne sommes plus dans l’urgence, il prend son temps pour déclarer que cet album doit être pris comme une mise en garde, à travers son expérience, contre l’abus de produits illicites. Cette addiction il l’a vécu et ça n’en vaut vraiment pas la peine.



So my task



Is inspire your future with my past



I lived through that shit



So you don’t have to go through it



Stepping stones in my life



Hot coals



Walk with me



Au final, l’album est un chaos total qui, bizarrement, est très plaisant. Certaines productions sont issues d’un autre monde et ne seraient pas utilisables par le commun des mortels mais Danny Brown les a choisi pour imager sa descente aux enfers afin que l’on puisse expérimenter ce qu’il a vécu à travers ses dires et l’ambiance sonique de son projet. Pour tout cela, Atrocity Exhibition est un ovni certes, mais digne d’éloges.


Hynote : 17/20


Source : Hyconiq.com

HYCONIQ
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le 13 nov. 2016

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