Attack & Release amorce un virage dans la discographie des Black Keys. Les prémisses d'ouverture légèrement entrevus sur Rubber Factory et à peine prolongés sur Magic Potion avec le sublime You're The One sont désormais confirmés avec ce nouvel album. Le rock puissant et lourd du groupe est toujours présent mais les mélodies sont plus nombreuses et les arrangements variés s'immiscent un peu partout, ce qui tend à alléger la puissance primaire des chansons, ou en tout cas à lui apporter une autre énergie.
I Got Mine a ainsi tout du morceau basique des Black Keys, avec son gros riff et son groove poisseux, mais des chœurs étranges surgissent vers la fin et apportent une touche de surprise bienvenue. On peut en dire autant de Strange Times qui fusionne encore davantage le rock saturé lors des couplets, et une partie instrumentale plus mélodique lors des refrains.
On sent que les Black Keys cherchent de nouvelles inspirations, plus nuancées, plus sinueuses, avec des touches de pop, de country, voire de psychédélique. On a par moment l'impression de se retrouver en Louisiane, dans un marais, à écouter un groupe de rock vaudou (Psychotic Girl). Il en ressort un album plus contrasté et varié que ses prédécesseurs, il est aussi plus intéressant et accrocheur que Magic Potion à mon goût. Mais le mélange des genres rend aussi le disque un peu hétérogène. Si le pendant rock et plus mélodique essaie de fusionner sur certains titres, la frontière n'est pas encore très perméable, c'est un peu comme si on tentait de mélanger de l'eau et de l'huile : on a beau remuer, les deux liquides restent tant bien que mal chacun de leur côté.
On a donc des morceaux qui restent dans la lignée des précédents albums (I Got Mine, Remember When), ceux qui essayent d'y apporter un twist de manière un peu trop prononcée (Strange Times), les morceaux plus softs mais rock quand même (Same Old Thing, So He Won't Break, Oceans & Streams, et Lies dans un registre plus mélodramatique) mais qui manquent de couilles, et enfin des titres plus mélodiques (All You Ever Wanted, Psychotic Girl et Things Ain't Like They Used to Be). Si je reconnais quelques mérites à I Got Mine et à Strange Times, les plus grandes réussites de l'album restent les trois derniers titres, les plus mélodiques. Encore une fois, mon âme de popeux prend le dessus. C'est à se demander pourquoi j'écoute les Black Keys !
C'est vrai qu'à la réécoute je me rends bien compte que les Black Keys sont avant tout, en tout cas à leurs débuts et jusqu'à Brothers, un groupe de rock qui joue relativement dur, le point culminant de ce registre étant sans doute Magic Potion. C'est aussi pour cela que j'ai toujours eu un peu de mal à accrocher complètement au groupe. Ce sont surtout leurs quelques saillies mélodiques, même au sein de morceaux assez musclés, qui arrivaient à me parler. Mais après une réécoute plus attentive il faut avouer que tout cela est relativement rare et que les premiers albums du groupe parleront plus aux amoureux de hard teinté de blues.
Pour en revenir à Attack & Release, si on peut considérer ce disque comme le premier pas véritable vers une musique plus variée et accessible, il y a quelque chose qui me chagrine sans que j'arrive vraiment à l'expliquer. Je crois que c'est le son qui me gêne, il est trop propre et clinquant, du coup ça manque de tranchant et d'énergie pure lors des moments plus énervés, et de douceur et de chaleur lors des passages plus mélodiques. Cet album sonne froid, ce qui fait que j'ai un peu de mal à m'y attacher malgré ses qualités. C'est aussi pour cela (et pour d'autres raisons) que je trouve que Brothers constitue une étape plus nette et plus franche en terme d'évolution du groupe.