Où est passé Justice ?
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Quoi qu'on fasse, le deuxième album d'un groupe est toujours la suite du premier, qu'il ait voulu s'en démarquer, ou garder exactement le même son. Pensons à MGMT, dont le deuxième album Congratulations est diamétralement opposé à Oracular Spectacular dans sa manière d'aborder le format L.P. L'idée, c'était de ne pas refaire une playlist de tubes (Time to Pretend, Electric Feel, Kids, ...) comme le sont tous les disques actuels, mais plutôt une continuité, comme a pu l'être The Wall de Pink Floyd d'une façon jusqu'au-boutiste (si bien qu'un film racontant une seule histoire en a émergé).
Pourtant, Congratulations était déjà là dans Oracular Spectacular. On peut mettre Weekend Wars dedans sans que ça passe trop aperçu par rapport aux autres morceaux. Ce sont les mêmes qui composent, donc même si l'écrin est différent, ce qu'il y a dedans est similaire : même idées fixes, même références. VanWyngarden n'avait pas pu évincer en seulement deux ans Neil Young ou David Bowie de ses modèles musicaux.
Audio, Video, Disco, c'est pareil. Beaucoup de gens vont être déçu par cet album, parce qu'ils s'étaient attardés sur l'écrin de †. Pourtant, les mêmes noms nous viennent à l'écoute.
Giorgio Moroder nous fait coucou sur Valentine comme sur Brianvision, où l'italo-disco tutoie le heavy metal. On voit aussi bien la tête du nerd à lunettes des Buggles derrière D.A.N.C.E. que derrière Ohio, Parade et la track éponyme, dont beaucoup ont remarqué la parenté avec Air ; ce qui est normal quand on connaît l'influence des Buggles sur le style de Jean-Benoît Dunckel.
Et puis Metallica, Yes, Alan Parson, les Eagles, et des groupes de hard rock des années 70-80 que Justice citaient déjà dans leurs premières interviews.
Ce qu'on retrouve d'autre, ce sont les envolées kitsch. Le solo de basse de DVNO faisait ricaner Augé et de Rosnay il y a quatre ans, et là, ça sera le passage au flûtiau de On'n'On, ou pire, les vingt-sept secondes celtiques de Canon (Primo), qui oscillent entre Greenleeves et la scène des nains de Spinal Tap (d'ailleurs, on dirait que la pochette d'A.V.D., à part rappeler celle de Who's Next des Who, fait référence à Stonehenge). Et puis il y a ce nouveau délire qui atteint son apogée dans Canon : le synthé beat them all old-school, qui s'infiltre aussi dans Ohio et Parade. On a l'impression de voir Batman foutre des coups de cape au Pingouin sur un jeu de NES ou de Megadrive.
Enfin, il faut saluer le boulot sur l'orchestration et le mixage, qui donne un son inédit à l'album, comme l'était celui du précédent. À l'instar des Daft Punk (ils se dépêtreront jamais de la comparaison), on perçoit un grand amour de la distorsion, du phaser et autres attirails rétro, des petits détails sonores grésillants (sur ce point, le début de Civilization rappelle un peu Prime Time of Your Life), de la texture des basses (Horsepower) et des voix d'hommes dans les aigües (déjà là dans D.A.N.C.E., évidemment, et DVNO, toujours là dans toutes les chansons d'A.V.D., peut-être à cause de l'influence d'AC/DC et de Led Zeppelin).
À la conquête du rock :
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Qu'est-ce qui change au final ? Très peu de compression sidechain, on s'éloigne de la house. Le rock éclipse le disco. Moins de synthés, pas de slap bass. Finalement, Justice a raclé tous les éléments qui auraient constitué une caricature s'ils étaient revenus dans cet album. Un folklore Justice en remplace un autre : maintenant, on a le droit à des riffs psyche ou prog rock qui lanceront peut-être la mode des grattes ratatato-mikeoldfieldesques. Ça m'étonnerait pas qu'une armée de groupes de néo-rock envahisse les ondes sous peu.
En fait, Audio, Video, Disco, c'est ça : un prototype de rock du troisième millénaire.
Quand les deux compères se sont attaqués ce genre, ils l'ont approché comme ils en avaient auparavant approchés d'autres : la pop, le disco, la funk... Prendre leurs arrangements typiques et les intégrer à la house.
Seulement, quelle est leur différence avec le rock ? À mon sens, c'est l'importance de la structure. Justice est doué pour inventer des bonnes formules, des bons refrains (D.A.N.C.E.). Quand il s'agit de développer, de monter en puissance, de faire grimper les guitares jusqu'au point d'orgue, c'est plus difficile, il faut savoir prendre son temps. Mais les morceaux d'Audio, Video Disco, ne tournent qu'autour des quatre minutes.
Où sont les points d'orgue dans cet album ? Il y en a un dans New Lands, qui avorte tout d'un coup à 3:20, inexplicablement. À l'inverse, il y en a un, trop timide, et qui ne fonctionne pas dans Audio, Video, Disco à 3:09, un morceau trop poussif qui se contente de répéter platement son excellent refrain. Dans Canon et Helix, ils fonctionnent à peu près. Accidents ?
Selon moi, c'est l'unique bémol d'Audio, Video, Disco, et il est de taille : c'est un album de rock assez bancal, parce qu'il essaie de coupler deux genres qui ne vont pas ensemble : le prog et le hard rock. Heureusement que c'est un excellent album d'électro.
(À écouter de préférence en vinyle, fort, et sur des grosses enceintes avec un caisson de basse.)