En juin 2004, John Frusciante sort son sixième album studio en solo, déjà le deuxième de cette seule année. Il annonce par la même occasion que ce disque n’est que le premier d’une saga de 6 albums en tout, enregistrés de décembre 2003 à mai 2004, durant la pause post-By The Way Tour des Red Hot Chili Peppers. Le dernier paraîtra début 2005, parachevant la période la plus faste de la carrière de Frusciante.
« My objective was to record as many songs as I could during the break that I had from the Chili Peppers tour. In the midst of doing that, I was writing some of my best songs, so some of these albums have as many new songs as old songs. It was definitely the most productive time of my life. »
A lire avant : (1)
Chapitre 2 : Automatic Writing
« I was reading a book written by Iannis Xenakis, a Greek architect and composer. There was this greek word 'Ataxia'. It means disorder. I think it was a nice word, I liked the sound of it, and also it was the title of this Joy Division song. That’s what pleased me because Joe, Josh and I are big fans of Joy Division. I think 'Ataxia' was a symbolic word for the three of us. »
C’est en ces mots que John Frusciante décrit l’origine du nom de ce projet éphémère qui aura donné naissance à deux albums. Le premier s’inscrit dans la fameuse série des 6 albums du guitariste californien, qui aura commencé en juin 2004 avec The Will to Death. Ne cherchez pas ce deuxième épisode sous le nom de Frusciante, qui s’associe donc ici avec Josh et Joe, respectivement à la batterie et à la basse. Le premier nommé est bien sûr l’inévitable Josh Klinghoffer, surdoué multi-instrumentiste d’une dizaine d’années son cadet et qui l’accompagne maintenant sur l’essentiel de ses projets ; Joe n’est autre que Joe Lally, bassiste du légendaire groupe Fugazi, de passage en Californie. Le trio adopte le nom d’Ataxia.
En janvier 2004, les trois musiciens décident d’unir leurs talents au cours de jam sessions spontanées, qui se transforment rapidement en 10 titres expédiés en à peine deux semaines. Conformément au workflow adopté par John Frusciante à cette époque, tout se fait vite, en une ou deux prises maximum capturées sur bande magnétique. Le guitariste des Red Hot Chili Peppers comparera le processus créatif d’Ataxia à celui de son "autre" groupe, au timing près. Des jams transformés en chansons.
« There is not much difference between Chili Peppers and Ataxia in the process, writing songs by jamming and then recording them. The only difference is that we’d write songs for two weeks instead of six months, and record them for five days instead of three weeks. »
Cinq des dix titres sont réunis sur un premier disque de 45 minutes qui paraît en août 2004 (*). L’album est baptisé Automatic Writing en référence à l’exercice du même nom consistant à écrire continuellement ses pensées sur une feuille vierge afin de libérer sa créativité : Frusciante assure que les chansons sont exactement ce qu’elles étaient lors du jam qui les a engendrées. La seule différence se trouve dans les voix, les textes ayant été écrits en une nuit une fois tous les titres mis en boîte.
Le résultat est sans précédent dans la discographie de John. Chaque titre respire la liberté, s’affranchissant de toutes les structures et codes du genre. A l’image de l’hypnotique Montreal, les chansons sont portées par des lignes de basse très répétitives, avec une forte inspiration de Public Image Ltd. Frusciante cite d’ailleurs Keith Levene comme son guitariste préféré, et rend hommage à son style dans l’intense Dust en ouverture de l’album. Une introduction parfaite au monde magique d’Ataxia, où la guitare et la voix se déchaînent tour à tour.
« If you like me because you saw me live, and I was beating the fuck out of my guitar, then this record will give you what you’re looking for. If you don’t care about song structure, and you want powerful music with fucked-up guitar playing and songs that are really long, this record is the one. »
Après un The Will to Death résolument calme et épuré, cet Automatic Writing prend un sacré contre-pied en laissant place à la furie de la guitare de Frusciante. Et pourtant, tout est cohérent. Le disque en lui-même, déjà : les 5 titres s’enchaînent avec un naturel déconcertant, nous donnant presque l’impression d’être dans le studio avec trois musiciens épanouis. L’album joue sur l’ambigüité entre son atmosphère apaisante, façonnée par la basse ronflante de Joe Lally, et une tension implacable qui ne redescend jamais des premières notes de Dust aux dernières de Montreal. On retrouve çà et là la patte un tantinet robotique des solos de Frusciante, que l’amateur averti identifiera notamment sur The Sides, qui rappelle terriblement les jams avec Flea au sein des Peppers. Home sweet home.
Automatic Writing est un sans-faute absolu, un vrai voyage proposé par trois artistes en osmose parfaite. Il s’inscrit de fait comme un OVNI dans le répertoire de John Frusciante, mais avec une étonnante cohérence qui ne peut qu’être synonyme d’épanouissement. Lui-même dira qu’il avait pour la première fois ressenti en studio la même atmosphère qu’en live, et c’est une prouesse ô combien communicative. Une excursion essentielle hors de sa zone de confort, pour une fois de plus repousser les limites de la création et écrire un chapitre fondateur de sa remarquable carrière. Là-haut, tout là-haut.
« We were feeling very much that the music was playing us. […] It happened so quickly and I would rate our best moments with some of the most powerful feelings I have ever felt in my life. »
Sources : invisible-movement.net
(*) Les cinq autres paraîtront sur un deuxième opus, AW II, sorti en 2007.