Nous avions quitté l'ami Gruff Rhys en 2014, en plein périple Nord-Américain à la recherche du légendaire Prince Madoc. Ce fabuleux Prince qui aurait découvert l'Amérique au XII ème siècle et y aurait fondé une tribu de langue Galloise.
En effet Rhys emboitait le pas de John Evans explorateur Gallois du XVIII ème siècle parti sur les traces de cette tribu d'Amérindiens aux origines Britanniques. L'ex-leader des Super Furry Animals rentrait dans la peau - et la tête - d'Evans et partait un an aux États-Unis pour tenter, lui aussi, de découvrir la chimérique tribu du conquérant Gallois de l'Amérique: L'insaisissable Prince Madoc.
Cette aventure Gruff Rhys l'a vécu pleinement, entièrement, la déclinant sous différents supports (Album, livre d'histoires, appli portable ou documentaire); tel un conquistador des temps modernes, il est allé jusqu'au bout, au bout de sa quête, jusqu'à la désillusion d'une réalité moins bandante que ces légendes Américano-Galloise.
De cette aventure hors du commun est sorti American Interior. Un bijou ciselé sur les routes cahoteuses d'une Amérique fantasmée. Un album abouti bourré de sucreries Pop, une balade en musique à la poursuite d'une chimère à l'accent Gallois qu'il, fort heureusement, ne trouvera pas.
Le voilà enfin de retour en Angleterre quelques mois plus tard. C'est aussi un retour aux sources musicales pour Rhys; le Gallois après quelques années chez Turnstile et deux superbes albums (Hotel Shampoo et American Interior) revient à ses premières amours en réintégrant le label Rough Trade (Candylion) pour la sortie de son nouveau disque.
Son nouveau disque, parlons-en justement. Babelsberg.
Rhys n'est pas rentré des Etats-Unis qu'avec le coeur lourd de n'avoir pu croiser la route du Prince Madoc ou de John Evans, non. Il est rentré avec des souvenirs plein son carnet de notes et des mélodies plein sa musette.
C'est en 2016 tout d'abord, qu'il va coucher sur bandes les dix morceaux de l'album. Comme un premier jet. Quelque chose qu'il fallait cracher rapidement avant de pouvoir revenir dessus pour polir les angles.
Tranquillement les enregistrements vont dormir 18 mois avant que Stephen McNeff et le BBC National Orchestra of Wales se penchent sur les diamants bruts que Rhys avaient jetés en studio pour les tailler, les ciseler plus finement, et faire briller de mille feux ces pierres encore brutes.
Gruff n'a rien perdu de sa superbe patte de songwriter.
C'est Frontier Man qui ouvre l'album; il ouvre d'ailleurs autant Babelsberg qu'il ne clôt American Interior, en offrant une jolie balade Country "DollyPartonienne" sonnant comme l'adieu du Gallois à son rêve Américain.
Tout s'enchaînent alors avec la simplicité sereine de l'artisan sûr de lui, rehaussé par la puissance orchestrale ( 72 musiciens tout de même !) donnant une amplitude Classique aux mélodies joliment Pop de Rhys.
Les violons et les cuivres s'emparent des chansons du Gallois ( O'Dear, The Club notamment) leur donnant les armes pour dépasser leur propres styles et les faire entrer dans la dimension complexe et casse-gueule de cette Pop symphonique si difficile d'accès.
Mais sous cette Alt-Pop léchée, sous ces sucreries musicales joyeuses et apparemment insouciantes, se cachent un discours plus anxiogène. Sous l'apparente insouciance du bonhomme, sous le vernis et la brillance de l'orchestration, on retrouve l'inquiétude d'un homme dépassé par son époque, par une technologie castratrice et un climat politique irrespirable; et au final cette acceptation douloureuse de n'y pouvoir rien faire.
Gruff tente - et parvient - à donner les couleurs vives d'une Pop joviale et décomplexée à des propos souvent ironiques et désabusés (Same Old Song ou la très belle Architecture Of Amnesia).
Babelsberg est la cinquième livraison du Gruff Rhys en solitaire.
Le Gallois nous offre ce gros gâteau à étages, plein de chantilly et de nougatine sur l'enrobage. Une mousse crémeuse à souhait lorsqu'on plante notre cuillère dedans: Une véritable invitation au plaisir. Un régal pour les papilles et une maîtrise parfaite de cet artisanat du plaisir. Mais après avoir fini ce superbe gâteau, après avoir raclé son assiette et terminé de lécher sa cuillère, il reste comme un arrière-goût un peu âcre.
Une pointe d'amertume perdue au milieu de tout ce sucre, un peu d'inédit dans cette recette millimétrée.
Un peu de la folie créative de Gruff Rhys dans une Pop Music trop souvent prévisible.
La cerise sur le gâteau en quelque sorte.
Limited Edition Heart