Rick Ross revient dans sa configuration habituelle : celle du raz-de-marée. En à peine quelques mois depuis la rentrée, il a sorti une mixtape, Black Dollar, avant l’album complet, Black Market. Voyons de quoi le marché noir à la Rozay est constitué.
Deux albums en un an, Rick Ross a déjà fait. Ou plutôt, Rick Ross s’y est déjà cassé les dents. Une mauvaise habitude qui voit toujours un bon disque et un vilain petit canard. Prenez Hood Billionaire et Mastermind en 2014, The Black Bar Mitzvah et God Forgives, I Don’t en 2012. Difficile de garder pour deux projets de suite la même qualité. Pour autant, Rozay semble avoir compris la leçon et a proposé un Black Dollar volotairement dépouillé, anticipant la vraie grande sortie, ce Black Market aux 17 titres et aux 80 minutes bien tapées.
Pour les nouveaux venus, ceux qui ne connaissent Rick Ross que par son feat avec Booba, « Free Enterprise (feat. John Legend) » fait office d’entrée par la grande porte du son Rozay. Difficile de trouver un titre qui synthétise aussi bien la grandiloquence chorale du Floridien. Seulement, il manque un beat lourd, pesant. Il faudra aller le chercher du côté de « Foreclosures » et cette idée de la réussite à deux facettes, à jamais condamné à errer des deux côtés de la barrière. La meilleure manière que son herbe reste toujours verte, aussi.
Qu’elle est kiffante à écouter, la quintessence de Rick Ross. Que ce soit sur le fleuve « Money Dance » en compagnie de The-Dream ou sur un « Silk Road » qu’il arpente bien seul, il y a toujours chez le boss de MMG ce mélange de tristesse et de style. Il traîne comme personne son spleen de nouveau riche, ce tiraillement entre la rue et les palaces. On le plaindrait presque de ses manoirs et ses jets. Fort.
Rick Ross est feat
Il y a la face soul de Rozay, donc, mais également son âme de gangster qu’il emprunte à son blaze. Ici, « Color Money », « Ghostwriter », « Crocodile Python » ou « Carol City » sont vite redondants. Oui, le rappeur et ses potes baignent dans le flouze, la réussite et la protection mutuelle. La ville est à eux, les plus belles filles de la ville aussi. Tout ça sur des prods interchangeables, évidemment. Des titres qui auraient mieux fait de figurer sur Black Dollar. L’egotrip et le son de meute, ça va sur les mixtapes.
Étonnamment, alors qu’il s’est appliqué à défendre ses poulains de MMG toute l’année, le pauvre Meek Mill en tête, voilà que Rick Ross a choisi des gros noms plutôt que ses collègues pour peupler les vers manquants de ses titres. Peut être se considère-t-il déjà comme old school : voilà Nas, DJ Premier, Mariah Carey, Mary J. Blige posant ça et là. Avec une vibe variante, inhérente au talent de chacun.
Visiblement, pour Rozay, une invitée féminine, ça doit chanter sur les refrains. Pas forcément faux vu l’histoire du rap et logique sur « Can’t Say No », où Mariah Carey vient sucrer un morceau déjà bien trop mielleux. Le vrai regret, il est du côté de « Very Best ». Si le titre est lourd comme il faut, on attendait trop Mary J. Blige sur quelques vers rappés comme elle sait si bien les faire. Elle se contentera d’ajouter de l’âme sur les hooks. Frustrant. Souvent composés pour l’invité, les titres en collaboration deviennent des petits bonbons pour les fans éparpillés.
Alors, quand on nique par des mères, on les embrasse, comme sur ce « Smile, Mama Smile » ou CeeLo pousse sa voix comme à l’usure. Rien à redire non plus sur « One Of Us » où Nas nous régale, encore, toujours. Tout le contraire d’un « D.O.P.E. » où Future prouve, si c’était encore à faire, qu’il est bien un pourrisseur officiel d’album. On vous met au défi de trouver une seule collaboration qui ne détruise pas un projet d’artiste en cette fin 2015. Sur la longueur, les titres partagés deviennent rapidement une affaire d’affect plus que de talent, sans véritable défi ni complémentarité. Une volonté marketing à peine dissimulée, pas franchement du plus bon goût. Rozay, en bon artiste américain, est autant un artiste qu’un businessman, et ça s’entend.
Sûrement tiraillé par sa volonté de créer un album de long terme, puissant et marquant, Rick Ross sort 17 titres de ce Black Market. Certains sont indispensables, certains sont superflus. Quand bien même l'album n'a rien d'une mixtape qu'on se refile sous le manteau, les thèmes sont vus et revus. De sa défense inébranlable de Maybach Music à un American Dream paradoxal, taillé et encensé à la fois, Rozay fait mal ce contre quoi il est usuellement fustigé et brille dans ses domaines de prédilection. Un album sans surprises, mais dont les quelques pépites suffisent à se distinguer.