Huit ans qu'on attendait la demoiselle Leila Arab. Après deux albums à la bidouille électronique savante, Like Weather (1998) et Courtesy Of Choice (2000), on ne pouvait que recevoir le nouveau venu l'ouïe exigeante. Pari hautement gagné pour ce disque mature, imprégné de la sensibilité et du talent ouvrier de Leila. En 2008, son univers sonore dessine un nuage électronique aux reflets mordorés, vaporeux autant que magnétiques, dans lequel les boucles saturées hypnotisent tandis que les rythmiques embarquent dans un flow moite. Une sorte d'ambient expérimental généreux et facile d’accès. Comme à son habitude, la belle tisse des nappes cérébrales, toutes proches de l'IDM, sans jamais renoncer à des teintes plus chaudes, entre soul et world music. À bien y réfléchir, la singularité de cette bricoleuse aux doigts de fée pourrait précisément résider dans cette manière à mêler exigence de la note et tempo entêtant. Sa musique, ample, balance, bouillonne, bourdonne, jusqu'à faire imploser le corps en mille particules prêtes à l'envol. Et pourtant. Souvent, l'auditeur enivré est comme rappelé au sol, la mélodie venant se calibrer aux chants des invités (la sœur Roya, Luca Santucci, Terry Hall, Martina Topley Bird…). Ainsi, l'initié passera vite les titres les plus pop (mais toujours inspirés), pour mieux chavirer sur ces instrumentaux auréolés du geste sorcier : Mollie (pluie lumineuse, noirceur envoûtante), Mettle (ou la danse macabre de squelettes perdus dans un monde au bord de la crise de nerfs), Carplos (orchestration cosmique), la reprise live et acoustique de son Young Ones (transparence symphonique). Espérons que la pertinence musicale de Leila continuera de sévir dans un XXIe siècle à la résonance rétro lassante. De notre avis, la petite fille peut continuer de pédaler, elle a le plein feu vert. (Magic)
Où la trop discrète Leila Arab fait à nouveau parler d'elle. Après deux albums remarqués ("Like Weather" en 1998 et "The Courtesy of Choice" en 2000), dont la non moindre des qualités était une manière inquiète et sournoise de faire de l'electronica avec des lambeaux de soul ou de funk, dans une sorte d'économie (déjà) discrète et distordue, la suite de la carrière de la musicienne a quelque peu piétiné, notamment pour cause de mésentente avec les maisons de disques. Leila est sans doute trop attachée à son indépendance artistique et à la radicalité de ses choix esthétiques pour céder aux sirènes du bleep commun ou du crossover à raboter le dance floor. Elle en a payé le prix, mais elle peut sortir enfin un disque qui lui ressemble. Si sa formule musicale n'a pas foncièrement changé depuis lors, elle est tellement habitée et généreuse qu'elle prend le pas sur toute nostalgie. Certes, une forme de mélancolie poisseuse et la présence sensuelle de sa sœur Roya ou de Martina Topley-Bird rappellent quelque peu les heures fastes du trip-hop, mais très vite, en un patchwork dont les contours apparaissent vite assez flous, sa musique part dans toutes les directions, empruntant, à sa manière sinueuse, des voies détournées pour se rapprocher du cœur vital, débordant de bien des manières les intentions étroites de revival qu'on pourrait lui prêter. Entre langueur orientale ("Daisies, Cats and Spacemen", vraiment sublime, avec son faux air de boléro et la phrase vocale somnambule de Roya), plaisir ludique des collusions rythmiques ("Time to Blow" avec Terry Hall dans le rôle du fantôme vocal, "Little Acorns"), étranges plongées dans la torpeur soul (la plupart des morceaux chantés par le troublant Luca Santucci, complice de la première heure), instrumentaux de toute beauté jouant sur des effets de déflagration discontinue (le doublet imparable "Mollie" / "Mettle"), la diversité est ici signe extérieur de richesse. Pourtant, il y a des constantes immédiatement repérables qui font la patte de la musicienne : l'attention maniaque au moindre détail de production (qui transforme l'écoute en un effeuillage sensuel et sans fin), une façon de faire disparaître le format couplet-refrain au profit d'une circulation où le chant progresse au milieu d'atmosphères tantôt luxuriantes, tantôt raréfiées, laissant apparaître incessamment de nouveaux effets ; chaque morceau est ainsi construit comme une aventure sans balise (sinon la constante des rythmes) qui ne doit surtout pas ramener au point de départ. Musique autarcique peut-être, démodée ou hors-saison sans doute, mais farouchement obsédante et belle. (Popnews)
Huit ans séparent l’album "Courtesy of choice" de "Blood, Looms and Blooms". Des années marquées par deux terribles épreuves. Il était dès lors compréhensible que Leila prenne ses distances avec la scène musicale. Mais c’était sans compter sur la force cathartique de la musique. Le fait de composer l’a ramenée à la vie pour notre plus grand bonheur mais non sans douleur. Cet album est sans conteste fortement marqué par ces évènements douloureux, mais il en ressort aussi une irrépressible envie de vivre. L’art peut guérir et cet album nous en apporte la preuve la plus éclatante. L’album oscille entre mélopées mélancoliques et trips extatiques, recueillement et extase, l’euphorie étant ici déplacée. Leila est une mélodiste hors pair, électronicienne ciselant sa musique comme une dentellière. Les beats bien présents s’ordonnent harmonieusement avec de longues plages mélodiques, dans un beau chassé-croisé. Leila triture sa musique, la secoue dans tous les sens, mais elle n’oublie jamais la cohérence. Rarement, l’électro avait acquis de telles lettres de noblesse. Le très atmosphérique Mollie en ouverture confirme la règle et invite au rêve. Durant toute l’écoute de l’album, l’auditeur, en apesanteur, évolue dans un monde parallèle, loin des rumeurs du monde. Se laissant complètement happer par cette musique trop rare, envoûtante et hypnotique. Mettle rappelle les débuts de Massive Attack. Elle s'accompagne comme eux de vocalistes hors pair. Roya Arab chante divinement bien sur les mélopées mélancoliques de Daisies, cats and spacemen, et passe de soulsister au statut d’une chanteuse épanouie. L’autre fidèle Luca Santucci entonne des Teases me et Ur train nonchalants. Norwegian wood, reprise des Beatles, sonne comme si Eric Chenaux avait pris la clé des champs d’un électro douillet. Leila s’évade seule sur Carflos, instrumental tout en nappes synthétiques. Deux autres morceaux hors normes méritent le détour, The Exotics, ou les rythmes syncopés se mêlent à la cantatrice Seaming To, et Lush Dolphins, ou la magie opère grâce à la simulation parfaite de chants de dauphins. Deflect paraît plus accessible, et ce sentiment est renforcé par la présence de Martina Topley-Bird, chanteuse affirmée. Mais sa prestation vocale saccadée donne un rythme particulier à ce morceau. Sur le discret mais très beau Young ones, Leila laisse tomber les machines et la modernité pour un mini orchestre de musique de chambre, c’est forcément sublime. C’est à un vrai dialogue amoureux que l’on assiste à l’écoute de Why should I ?, duo parfait entre Martina Topley-Bird et Terry Hall, deux voix de velours agrémentées d’un clavier malicieux. Cet album telle une bulle protectrice loin de l’exubérance des sentiments, est une œuvre pudique. Cet album n’a pas pour but d’apitoyer sur le sort malheureux de Leila, il n’est pas geignard ou tragique. Il touche cependant en plein cœur, car on sent les efforts qui ont été entrepris pour sa naissance. Il est l’œuvre pudique et très personnelle d’une artiste farouchement indépendante, d’une force de caractère imparable, malheureuse mais aussi très heureuse de pouvoir vivre pleinement de sa musique, laquelle l’abreuve et nous laisse comblés, émus, heureux et admiratifs devant tant de courage et de talent. (indiepoprock)