C'est dans les vieux chaudrons qu'on fait les meilleures compotes.
Quand Joni Mitchell sort Blue en 1971, elle rentre sans le savoir dans le panthéon, dans la cour des grands de la musique folk. Après plusieurs albums au succès commercial décent, la canadienne rompt avec son copain de l'époque (Graham Nash, excusez du peu !) et voyage en Europe. Elle enregistre une partie de l'album que sera Blue, puis revient en Californie en 1971. Peu de temps après avoir presque terminé l'album (masters prêts à être envoyés à la production), elle rajoute des chansons de dernière minute, impactées par sa rupture récente avec James Taylor et qui viendront changer l'ambiance du disque complètement. Il sera difficile de trouver un critique musical haïssant l'album, autant à l'époque que maintenant. On lui attribue les notes maximum, l'avis critique est unanime : c'est un chef d’œuvre. Seulement voilà, moi quand je l'ai écouté pour la première fois, jeune adulte en 2015, eh bah j'étais pas convaincu. Sa voix ne me revenait pas, les chansons me paraissaient niaises de temps à autre. J'ai même pensé que sur "River" elle plagiait Bruce Springsteen, si on met du côté que Bruce Springsteen a commencé sa carrière 2 ans après Blue...
C'est un disque qui demande quelques écoutes, qui ne s'écoute pas en faisant le ménage ou en faisant la cuisine, c'est un fragment d'âme, c'est l'émotion à un état si pur que ça en est gênant par moments, c'est un cœur brisé qui fait ce qu'il peut pour aller de l'avant, c'est cette expérience unique d'une jeune femme de 28 ans que nous sommes tous plus ou moins amenés à vivre une fois dans notre vie, à notre petite échelle d'individu. Il suffit d'écouter "A Case Of You" pour saisir tout l'amour contenu dans ce disque. D'habitude, le folk c'est un état lieu pitoyable des crises existentielles et un brossage de l'égo dans le sens du poil. N'y voyez aucune malice ici, c'est sans doute mon genre favori sans aucun doute, mais il faut dire les choses comme elles sont. Avec Blue, la couleur (jeu de mot, voilà) est annoncée dès le départ. Mention spéciale à la langue anglaise et son pouvoir fantastique de description et d'évocation.
Au delà de l'ambiance du disque, on retrouve de sublimes morceaux acoustiques avec quelques invités de prestige (Stephen Stills pour rester dans le thème) mais souvent très épurés, très simples mais redoutablement efficaces. Pour ma part, je ne peux pas dire que j'aime absolument chaque morceau à pied égal. Mais chacun trouvera son morceau (ses morceaux bien souvent) ici, et dans tous les textes, vous retrouverez un songwriting impeccable, des mots crus et surtout pas d'édulcorants. Pour parler un peu de la musique, un son de guitare délicieux, un piano un peu moins appétissant mais efficace, de l'inventivité, une production qu'on pourrait qualifier de parfaite et un jeu de guitare qui, en tant que guitariste moi-même m'a fait chercher ses accordages rares (et pourrait vous donner de grandes inspirations si vous écrivez). Le syndrome de Bowie, guitares pourries, son en or.
C'est dans les vieux chaudrons qu'on fait les meilleures compotes, et c'est dans les vieux thèmes qu'on fait les meilleurs albums. Et ça ne manque pas de fraîcheur, encore aujourd'hui, Blue est un passage obligé pour tout amateur de folk et tout mélomane, ce qui me fait regretter de ne pas l'avoir écouté plus tôt. Joni, c'est sa voix haut perchée et c'est plus d'émotions que ce que vous aviez prévu pour la journée. Mais vous allez bien l'aimer, promis.
Coup de cœur : "Little Green", "California", "A Case Of You"