Nous sommes en 2006 et Ben Harper vient de repousser encore les limites de la haute-fidélité avec la schizophonie , technique qu'il utilise sur Both Sides of the Gun, le premier double album de sa carrière. Ces dix-huit nouvelles chansons, réparties équitablement entre le disque n° 1 et le disque n° 2, méritent certainement une analyse approfondie. La première constatation est que les deux épisodes offrent des visages très contrastés du musicien, l'un vulnérable, l'autre agressif, comme si chaque groupe de compositions émanait d'un hémisphère différent de son cerveau, pulsait d'un ventricule distinct de son cœur. En cela, l'image suggérée par le titre ( Des deux côtés du flingue ) correspond tout à fait à la manière dont l'œuvre a été configurée. Sur le premier volume, Ben Harper est une proie. Sur le second, c'est lui qui tient le flingue. A en parcourir le terrain dépressif de certaines régions (Morning Yearning), on l'imagine même se laissant brièvement séduire par l'idée de retourner l'arme contre lui. Ben Harper, aigle à deux têtes du rock ? Sur le disque rock, il fulmine (Better Way) et enrage (Please Don't Talk ). Dans Black Rain, composée dans le sillage de l'ouragan Katrina, il menace le président en personne (pas de doute c'est sur GWB. que BH pointe son gun). Effronté et sans vergogne, il pique le riff de It's Only Rock'n'Roll (But I Like It) dans la poche des Stones pour nous en refiler une contrefaçon plutôt fréquentable (Get It like You Like It). Fan désespéré de Led Zep, il croit s'offrir avec Serve Your Soul son propre Stairway to Heaven, qui ne nous mène hélas qu'à l'entresol. Ce disque rock, c'est Ben Harper se débattant avec ses propres limites, conjurant le poids d'un lourd héritage musical par une débauche instrumentale, dont on lui rendra acte d'une évidente maîtrise. Rien que sur le très baba cool Better Way, on trouve successivement de la tampura indienne, des tablas, une Weissenborn (slide guitar), une basse Motown, un piano classique et pour finir une batucada brésilienne épousant le rythme second line new-orléanais'. On savait le moteur créatif de Ben Harper carburant à l'orgueil. Quel musicien n'a pas un jour rêvé de donner naissance à son propre Electric Ladyland, l'album concept d'Hendrix ? L'orgueil soulève les montagnes, compense là où ça fait mal. Est-ce d'avoir trop sollicité cet orgueil pour composer les titres du volet rock qui le fait paraître si chétif, démuni et abandonnique sur son vis-à-vis ? D'un rock couillu et téméraire, on passe à une pop élégiaque tissée avec les cordes d'un orchestre de chambre. Bien que joliment produites, les chansons se révèlent dans l'ensemble friables, parfois ennuyeuses. Et quel que soit le côté du flingue où Ben Harper se trouve, c'est la même impression de fuite en avant qui domine Both Sides of the Gun. Alors chasseur ou pourchassé ? On attend le prochain épisode pour connaître la réponse.(Inrocks)
Indécis jusqu’au dernier moment quant à la couleur musicale à donner à ce sixième album, Ben Harper a refusé de trancher. Plutôt que de choisir seulement quelques-unes des chansons écrites pour l’occasion, il a préféré les garder toutes et livrer un double album clair-obscur. « Both sides of the gun » reprend les deux versants de son univers musical : les ballades blues-folk épurées d’un côté, le rock abrasif et psychédélique de l’autre. La musique de Ben Harper s’est électrisée au fil du temps. Pour le meilleur (« The Will to live », où la composition des morceaux calque celle de Jimi Hendrix) et pour le pire (le tournant pop mainstream de « Diamonds on the inside »). C’est donc une bien agréable surprise que nous réserve le premier volet de « Both sides of the gun », ravivant la nostalgie du son roots des deux premiers albums. En ouverture, Morning Yearning est tout simplement sublime, avec son titre qui rappelle le « new rising sun » d’Hendrix… Les phrases se répètent, relayées par des violons très sobres, qui suffisent à donner le frisson. Un lever du jour lourd de chagrin. La voix est douce. C’est presque en susurrant qu’elle délivre ce chant d’espoir mélancolique. Une posture de vieux bluesman adoptée aussi sur Never Leave Lonely Alone, où Ben Harper balaye du revers de la main la solitude qui guette. Dans un souffle, il dit adieu à son amour déçu (More than sorry), en s’accompagnant d’une simple guitare acoustique, comme avant… Les arpèges tournent en boucle. Les cordes crissent à chaque changement d’accord. On croît la magie enfin revenue. Pourtant, les choses se gâtent sur le second volet de « Both Sides of the Gun ». Ben Harper n’en aurait-il pas trop fait ? Lui qui a produit l’album et qui joue de la plupart des instruments ? Les morceaux sont ambitieux, mais peut-être trop justement… A l’écoute, ce sont les petits détails qui dérangent et non pas la composition d’ensemble. La basse et les tambours horribles de Better Way. La guitare outrageusement funky du morceau titre, assez poussif par ailleurs. Les gimmicks de guitare très stoniens qui parsèment Engraved Invitation (on croirait entendre une mauvaise version d’Honky Tonk Women). De même sur Get It Like You Like It, un titre qui irait à ravir à Mick Jagger et sa bande… Heureusement, trois morceaux surnagent dans ce déluge électrique. Black Rain d’abord, hymne révolutionnaire écrit en hommage aux sinistrés de la Nouvelle Orléans. Gather Round the Stone ensuite, avec son refrain scandé comme un vieux blues des familles, ciselé de finger picking. Enfin, en clôture, l’incantatoire Serve Your Soul, morceau fleuve aux riffs typés Led Zep, faisant alterner les couplets peaceful et les refrains embrasés, acoustique et slide-guitar. (indiepoprock)