Brighten the Corners
7.6
Brighten the Corners

Album de Pavement (1997)

Surprise : après six mois de relâche, Pavement s'est posé dans un studio pour enregistrer un quatrième album qui refuse de décoller, un peu las : Brighten the corners, le disque trompe-la-joie d'un groupe boute-en-train. Accordons-lui le droit au point de côté. Pavement, mode d'emploi : "Pour chaque nouvel album, on se concentre sur une facette du précédent, qu'on essaie de creuser et de faire évoluer. Travailler comme ça nous permet d'avancer tout en restant Pavement. Nous ne sonnerons jamais comme Public Enemy, mais toujours comme Pavement." Pour Brighten the corners, quatrième album, on soupçonne Pavement d'avoir exploré le sillon Father to a sister of thought de Wowee Zowee, qu'on appellera néologiquement "chanson cafard-naüm" : ankylosée, les pieds dans un ciment à prise lente et le coeur à nu. Mais alors que Father to a sister of thought pouvait passer pour une vraie chanson de Pavement ­ soit s'amuser d'elle-même, ressembler à pas grand-chose, commencer country (la steel-guitar), virer baba (les choeurs) et finir en pirouette noise ­, les chansons de Brighten the corners n'offrent jamais ce genre de repères. Pavement a ralenti son tempo et laissé ses gimmicks au placard ­ et ils nous manquent. En écoutant Brighten the corners, on dodeline toujours de la tête, mais avec un début de migraine, les yeux dans le vague, tournés vers l'intérieur. Pendant tout un album, Pavement s'arrête sur le bleu de son arc-en-ciel. Fin des pirouettes et de la haute voltige : les chansons de Brighten the corners semblent patiner, s'arrêter en cours de route comme si elles avaient oublié quelque chose ou n'étaient pas bien sûres de la direction à prendre.Topographie sélective : Shady lane, le tube virtuel, une ritournelle à chanter deux fois sous la douche, avant de se recoucher ; J vs S, le seul instrumental de l'album, petite averse d'été qui laisse songeur ; Transport is arranged, introduit par une flûte traversière calme et tranquille comme la chanson (attention quand même à l'eau qui dort) ; Old to begin, une chanson grise avec plein de blancs dedans, de freinages sans dérapages (l'archétype de la chanson pavementienne, vue au ralenti, Stephen Malkmus un peu dans le coltard) ; Type slowly, cette fois, ce sont les musiciens qui ont oublié de se réveiller : le chant de Malkmus part devant, à la verticale et se retrouve vite seul, apeuré, un peu Will Oldham, sublime ; Embasy row, une chanson où Pavement joue des petits bouts de punk-rock comme un groupe qui essaierait d'imiter Pavement pour sa première répèt' ; Blue hawaiian, avec intro Riders on the storm (Doors), où l'orage gronde mais n'éclate jamais (il y a de l'électricité dans l'air) ; We're underused, second tube virtuel, réservé aux amoureux, idéal pour emballer avec son intro clavecinoque, son petit solo de guitare exacerbé à la fin et Stephen Malkmus romantique, lové tout contre une mélodie pot-de-colle. Tu aimes l'indie-rock ? Grâce à Pavement, toi aussi tu peux quand même danser le slow. Queen ou les Smashing en auraient fait un méga-tube. A la fin, Malkmus chante comme si sa partenaire lui avait marché sur le pied. Avec des chaussures de foot à crampons. Pas de tube ; Infinite park, dernier morceau de l'album, et pour la première fois Pavement semble imiter quelqu'un ­ le Velvet de Loaded ­, et il s'en tire très bien. La chanson quitte le disque en douceur, comme un train qui part et s'évanouit dans la fumée de sa loco. Brighten the corners n'a fait que passer, mais on a agité un mouchoir, on aurait bien essuyé une petite larme. De joie et de rage mêlées. Joie : Pavement est resté farouchement indépendant, insensible aux pressions et ennemi de toutes les figures imposées, les siennes comprises. "Dans les années 80, à cause de MTV qui ne mettait en avant que des groupes heavy-metal ou des choses comme Duran Duran, on avait l'impression que la musique n'était pas pour nous, qu'il était impossible de sortir un disque. Jusqu'à l'arrivée du punk-rock. Je ne parle pas des Sex Pistols, mais des groupes qui passaient à Stockton, ma ville : Black Flag, DNA, Dead Kennedys, Minor Threat, Fugazi. Ces groupes faisaient leurs trucs, sortaient leurs disques eux-mêmes. Et ces disques, nous les achetions. Mais ce n'était pas un mode de vie, Pavement ne voulait pas faire partie de cette scène, seulement sortir quelques singles sur des labels obscurs. Quand on a fait le premier single, on avait en tête les disques de Faust ou de Pere Ubu, on n'avait pas envie ni conscience d'être différents. Mais quand je l'ai écouté, j'ai trouvé qu'il ne ressemblait à rien de ce qu'on aimait."De la place de Pavement dans le paysage du rock américain : un microterritoire où le vent a soufflé de partout à la fois, où le soleil a brillé plus fort, où la pesanteur a oublié d'être pesante. Le premier album de Pavement a réintroduit l'accident, la surprise, le bond (en avant, en l'air, sur le côté), le dilettantisme dans un rock américain lui aussi paralysé par son histoire. Le seul groupe vraiment indépendant du rock américain, sans généalogie ni équivalent, celui qui a su s'affranchir, couper le cordon sans douleur, dans la joie. Exercice à faire à la maison : écouter simultanément un des trois premiers albums de Pavement de l'oreille gauche, et le dernier de l'oreille droite. Rage : on constate que l'aire de jeux de Pavement s'est considérablement réduite, que Pavement sans ses outrances n'est pas totalement Pavement. La mayonnaise prend mais elle est trop amère. On attendait moins de repli sur soi et plus d'égarements. Il y a deux ans, à l'occasion de la sortie de Wowee Zowee, on baptisait Stephen Malkmus "le cancre modèle". Cette année, histoire de rigoler un coup (mais alors un peu jaune), on pourrait titrer "le cancre-las", un peu soupe au lait, qui crache dans le potache. Brighten the corners, auquel manquent les feux follets mais pas les braises, est un album difficile à cerner ­ normal, Pavement n'aime pas être cerné ­, dont la clé est involontairement livrée par Stephen Malkmus lui-même : "Je ne suis pas Frank Sinatra, je n'ai jamais prétendu être chanteur, je préfère me voir comme le membre d'un groupe. Je n'ai jamais aimé ma voix, j'ai toujours pensé que c'était le point faible de Pavement ­ peut-être que je devrais arrêter de fumer pour la sauver. Quand je chante avec d'autres groupes, ça ne va pas, ma voix traîne. Je ne peux chanter qu'avec Pavement... Sur les albums précédents, j'essayais toujours de faire des effets ou de crier. Mais là, j'ai chanté avec ma voix naturelle, comme je parle." Stephen Malkmus n'est pas Frank Sinatra. Soit. Pourtant, il n'a jamais chanté aussi près du crooner, un peu pathétique, romantique défait cramponné au délicat bourdon des guitares, comme d'autres à une section de cuivres. Avec tellement de recul dans la voix qu'on peut craindre la sortie de scène, l'effacement. La voix de Malkmus, c'est une indolence un peu sèche, résignée, presque lasse, sympathique sans plus. C'est vrai que Malkmus a changé de voix : il chante comme un homme tout nu et tout seul, séparé du monde par un gouffre infranchissable, avec seulement l'écho pour compatir. Extrapolons : c'est tout Pavement qui joue au naturel, les gestes coordonnés, sur la pointe des pieds pour ne pas déranger les papillons bleu nuit posés sur l'épaule de Malkmus. Pour rester lui-même sans se répéter, Pavement a opté pour une musique en spirale, descendante. D'abord, ça nous a mis un coup. Puis, romantiques comme on est, on a appris à aimer la mélancolie de Brighten the corners, jusqu'à ne plus pouvoir s'en passer. (Faux) problème : ce disque déprimé est aussi assez déprimant, Brighten the corners est l'album triste d'un groupe drôle. Et là, ça coince. Chacun à sa place, les gars, si demain Smog se met à jouer du new-jack, on ne sait plus où on en est. Tant que Pavement sonnait comme The Fall sur un trampoline, premier prix de gym, tout était simple. Mais quand le groupe refuse de faire ses acrobaties, pas glop, on s'inquiète, au début on râle, on ne voit là qu'un disque aux angles arrondis, les batteries à plat. Ou le Pavement de la pénombre, des coulisses de l'exploit, qu'on aime pour des raisons moins voyantes. Le vrai problème de Brighten the corners sera donc le public de Pavement, qui devra lui aussi tourner autour du pot et couper les cheveux en quatre avant de conclure : Brighten the corners n'est sûrement pas le meilleur album de Pavement, mais c'est présentement celui que l'on préfère.(Inrocks)


Qu'espérer de ce quatrième album de Pavement, le groupe préféré des amateurs de rock américain, depuis le départ à la retraite de Sonic Youth (je plaisante) ? Le fait est qu'il n'y a pas grand-chose à dire sur Pavement : charisme nul, interviews faibles, textes abscons, musique et chant imprécis... Bienvenue dans ce monde informe et flottant, sans lignes directrices ni repères fiables, sans accords fédérateurs, ni refrains galvanisants. A l'école du flou artistique, Pavement est premier de la classe. Tout cela ne nous dit pas si le nouveau Brighten The Corners est mieux ou moins bon que son prédécesseur Wowee Zowee. En fait, il est pareil. Un peu moins long cependant, donc plus clair mais pas plus précis pour autant. Pourtant Brighten The Corners, sans être aussi immédiat que Crooked Rain... s'avère l'album le plus abouti du groupe : d'entrée Radio et Shaby Lane séduisent par leur pop déconstruite et mal foutue, typique de l'attitude de Stephen Malkmus à suggérer plus qu'à affirmer son talent de songwriter. Puis de ballades déroutantes - Type Slowly, Infinite Park - en psychédélisme rupestre - A Date With IKEA, We Are Underused -, Pavement se découvre et s'humanise, se laisse même aller à des solos de guitare orthodoxes (les Stones de Sticky Fingers ne sont pas bien loin) et laisse une place de plus en plus évidente à un savoir-faire désormais contrôlé et labellisé. En 97, Pavement se présente tel qu'en lui même : essentiel et sans surprises. (Magic)
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le 12 avr. 2022

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