Depuis ses débuts en 2001, The Coral est souvent apparu comme une formation aussi talentueuse qu’irrégulière, alternant de manière déconcertante entre excellence et médiocrité. Comme pour clore en beauté sa première décennie d’existence, le quintette de Liverpool est parvenu à signer un second chef-d’œuvre consécutif, tournant définitivement le dos à ses travers de vilaine chenille pataude pour éclore sous la forme d’un splendide papillon multicolore et virevoltant. Butterfly House vient ainsi merveilleusement compléter la trilogie impeccable inaugurée par Magic And Medicine (2003) et poursuivie par Roots & Echoes (2007). En l’absence du guitariste à éclipse Bill Ryder-Jones, mais soutenu par le vénérable John Leckie (XTC, The Stone Roses), The Coral assouvit ici un fantasme musical qui sommeillait dans les tréfonds du subconscient des amateurs de pop haut de gamme : organiser la rencontre, au mépris des contraintes du temps et de la géographie, entre un Ian McCulloch rajeuni et le fantôme d’Arthur Lee, quelque part sur le Sunset Strip baigné de soleil. Jouant résolument la carte du classicisme et de la simplicité, les frères Skelly et leurs camarades alignent sans le moindre sentiment d’effort douze mélodies d’une limpidité sublime, mises en valeur par des harmonies byrdsiennes et quelques arrangements bienvenus ; douze tubes où l’écriture des ponts n’est jamais négligée, et où les arpèges de guitare répondent en écho aux volutes d’un orgue aigrelet. Une formule trop rétrograde ou passéiste, déploreront sans doute quelques esprits chagrins. Il n’en demeure pas moins que, dans une époque où les références au psychédélisme ne servent souvent qu’à légitimer les psalmodies pâteuses de formations moins cultivées et plus complaisantes, The Coral se montre seul capable d’assumer avec autant de brio la célébration bien vivante de ce patrimoine indémodable dont leur ville natale a toujours été l’un des centres de gravité. Butterfly House en fournit bel et bien la preuve par l’exemple : cette histoire locale ne s’est pas achevée à la séparation de The La’s ou avec l’annulation des derniers concerts de Shack. Elle continue de s’écrire au présent. (magic)
The Coral est ainsi un groupe très sous-estimé, un trésor trop bien caché, avec une fan base impossible à gérer, faite de jeunes scallies, de vieux babas, de buveurs de bière, de fumeurs de joints. Une sociologie éparpillée que l’on décrypte un peu mieux à l’écoute de Butterfly House, leur nouveau et resplendissant album, sorte de Luna Park avec la navette de Retour vers le futur en guise d’attraction vedette. Le genre de disque idéal qui permet de comprendre à quel point le port de Liverpool marque non seulement le point de départ de la carrière des Fab Four, mais constitue également, en quelque sorte, l’origine d’un monde, au sens vaginal où Gustave Courbet l’entendait : un passage par où les choses pénètrent et ressortent selon un mouvement continu de va-et-vient très jouissif. Par ce chenal s’introduisirent en Angleterre, dans les années 50 et 60, les voix divines des groupes doo-wop (The Orioles, The Five Satins, The Ink Spots), la twangin’ guitar de Duane Eddy, les harmonies diaprées des Everly Brothers, le baroque spectorien, le back-beat Motown. En ressortirent Gerry And The Pacemakers, les Searchers, les Beatles, avant-garde de ce que l’on a appelé la British Invasion, ce tsunami à coupes à franges et en bottines vernies qui féconda les groupes psyché américains inventoriés sur la compilation Nuggets, recueil fétiche de Skelly et sa bande. The Coral résume cette histoire sans pour autant se fondre dans un courant revival. Sur Butterfly House, ils en revisitent certains chapitres, restaurent le style Walker Brothers avec le son Shadows (More Than a Lover), passent les harmonies vocales des Beach Boys à la moulinette britpop (Sandhills), distribuent à la volée guitares carillonnantes à la Byrds (Green Is the Colour, Two Faces) et sons convexes à la Electric Prunes (She’s Comin’ around) avec une tranquille désinvolture. Sans omettre le clin d’oeil obligé aux Beatles avec l’intro du rallye final North Parade, la même que sur A Hard Day’s Night. Ils font ça sans y penser, comme si reprendre l’histoire par le début leur accordait, grâce suprême, l’innocence. L’auditeur peut alors considérer 1965 non plus comme un bon millésime mais comme un futur immédiat. “C’est notre meilleur album”, assure Skelly, qui voit dans la contribution du producteur John Leckie, un ancien d’Abbey Road ayant travaillé avec Lennon, McCartney, Harrison, Pink Floyd, The Stone Roses ou The Verve, une raison supplémentaire à cet ensoleillement. Encore que leur attitude n’y est probablement pas étrangère. Hormis le guitariste Bill Ryder-Jones, qui les a quittés il y a deux ans, les lads sont ensemble depuis 1996. “Avec la même envie de faire de la musique”, précise le chanteur. N’ont pas fondé de famille et, une fois leurs guitares débranchées, partagent les mêmes distractions : ciné, foot et barbecues. “Ah oui, et aussi chasser les fantômes qui, à Liverpool, sont encore bien présents.” (inrocks)
L'an passé, Echo and the Bunnymen publiait un nouvel album à grand renfort de déclarations fracassantes de l'incurablement arrogant Ian McCulloch, qui prétendait qu'il s'agissait là de son meilleur enregistrement. Las, The Fountain n'était que le triste témoignage d'un groupe pataugeant dans l'autoparodie, cherchant désespérement à réveiller sa splendeur passée. Souhaitons à The Coral de ne pas connaître le même sort que son illustre aîné de Liverpool. Pour l'heure, malgré la perte d'un membre-clé - le guitariste Bill Ryder-Jones -, James Skelly et les siens ne semblent pas en prendre le chemin. On pourrait même trouver cruellement ironique que l'impeccable More than a lover qui ouvre Butterfly House soit exactement le genre de pop song, aussi majestueuse qu'évidente, qu'Echo n'arrive plus à écrire. Ailleurs, The Coral, à coups de guitares carillonnantes et d'harmonies célestes, poursuit avec toujours la même facilité apparente sa revisitation passionnée, à l'instar des La's autrefois, des grandes heures du rock West Coast aussi mélodique qu'inventif de la fin des années 1960, Byrds et Love en tête. Avec un sommet, le somptueux 1 000 Years. (HC)