Ah, qu'il est facile de railler Sum 41.
C'était le groupe des skateurs du dimanche, adolescents boutonneux en rébellion contre la société, qui mangeaient MacDo, s'offraient des sweatshirts à 100€ et achetaient ce disque au rayon culture du Leclerc.
C'est un des groupes qui s'est emparé des codes du punk, musique contestataire et engagée, pour en faire des tubes radio-friendly sans âme qui se sont vendus comme des petits pains, au Leclerc justement. Un groupe inintéressant car sans recherche musicale, superficiel.
Je pense qu'on a fait le tour de ces préjugés, qui, s'ils sont plutôt fondés, abordent l'album sous le mauvais angle. Il faut se demander ce qu'a voulu faire le groupe canadien avec cet album. Certains diront, de l'argent, je ne le pense pas. Sum 41 est de ces groupes qui ont une énergie viscérale, palpable, et qui ont le besoin de l'externaliser, de la canaliser vers la musique.
Dès lors, le punk-rock n'est même pas un choix, mais plutôt une nécessité, et tant pis si on s'empare d'un genre pour en faire complètement autre chose. C'est cette énergie qu'on reçoit, brute de décoffrage, en pleine gueule à l'écoute du premier album All Killer No Filler. Seulement, comme tous les groupes, Sum 41 grandit, et éprouve le besoin de changer, de faire grandir sa musique. Un voyage dans l'Est du Congo (chouette endroit pour passer les vacances se disaient-ils sûrement) notamment, et leur rencontre avec un certain Capitaine Chuck auquel ils dédieront l'album, leur donneront la direction à suivre.
Ce troisième album est donc un album noir, désabusé par ce qu'il y a de pourri dans les sociétés occidentales et dans la nature humaine. Les textes, les compositions, sont sombres. La voix de Deryck Whibley (non pas l'inspecteur), d'ordinaire plutôt positive, se fait le relais de sentiments d'oppression, de perdition, comme détachée d'un monde où elle ne se reconnaît plus. La musique, elle, est de moins en moins simpliste, empruntant au punk hardcore comme sur l'album précédent mais aussi de plus en plus au heavy metal. La guitare de Dave Baksh, notamment, dont on regrettera le départ pour l'album suivant, nous gratifie de quelques riffs couillus qui n'auraient pas dénoté chez Motorhead, ou de solos ma foi pas dégueulasses.
Surtout, le groupe n'a pas perdu en chemin son sens inné de la mélodie pleine de vie et d'énergie, nous gratifiant de quelques morceaux parmi leurs meilleurs : No Reason rageur qui emporte tout, We're All to Blame en constante balance entre résignation et indignation, Pieces mélancolique, ou 88 paranoïaque. Le reste de l'album n'est pas en reste, Chuck constituant certainement le plus solide et cohérent du groupe.
C'est ainsi que Sum 41 se construit une identité, à la frontière entre punk, rock et metal. Je ne dis pas qu'il faudra attendre ici des sommets de technique, ce n'est tout simplement pas le but. Mais on y trouve un album cohérent, vecteur d'émotions authentiques, pour une musique entraînante, un bol d'énergie brute.
Il faut condamner les démarches commerciales quand elles ne produisent que des morceaux sans saveur et mal réchauffés, mais il me semble que cet album ne tombe pas dans ces travers, produisant quelque chose de neuf, avec une vraie âme. Qu'on l'aime ou pas, c'est une autre affaire, mais il convient de l'écouter avec une oreille ouverte. Moi, il me transporte à chaque fois.