Fin 2003, après un fabuleux troisième album, l'épique et vénéneux Televise, et la tournée qui suivit, on avait laissé ces Texans émigrés à New York au bord de l'épuisement. On pouvait même se demander si, après de telles épreuves, on retrouverait un jour le groupe en un seul morceau, lui qui avait ambitionné, en faisant lui-même ses cascades et au risque de se rompre les os, d'être à la fois trouble comme le Velvet Underground et plus puissant que Lift To Experience. Deux ans plus tard, nous voilà donc à la fois surpris et heureux de constater le retour aux affaires de Calla, avec un étonnant quatrième album, Collisions, qui se veut certes moins ambitieux et grandiloquent que son prédécesseur, mais qui confirme tout le talent d'écriture du trio emmené par Sean Donovan. Dès le morceau d'ouverture It Dawned on Me, Calla, qui garde tout de même quelques guitares à l'avant, laisse entrevoir ce qui sera le pivot du disque : une mélancolie latente, qui rappelle ce shoegazing sombre et bleuté ravivé par Sofia Coppola dans le très beau Lost in Translation. Perdu quelque part sans savoir très bien où, Calla use et abuse de la situation avec beaucoup d'à-propos, évoquant par endroits un Elliott Smith un rien déluré (Play Dead, Stumble) ou jonglant par ailleurs avec l'héritage bruitiste mais racé des écuries anglaises touchées autant par la grâce que par la dépression au début des années 90 ? on pense évidemment à Ride ou encore à My Bloody Valentine. Disque qui semble s'interroger lui-même sur son existence de la première à la dernière chanson, Collisions parvient à faire de ce doute un moteur assez bouleversant.(Inrocks)
À l'instar de The National, avec qui il partage dorénavant le même label, Calla pourrait passer pour un nouveau groupe. Lequel a toujours été un cas à part dans le paysage musical américain, trop européen pour être empaillé dans les tristes disciples de Sonic Youth, trop arty pour être considéré comme un combo de rock'n'roll. Mais tout cela, c'était avant, bien que l'on se souvienne d'un deuxième album impressionnant d'envergure (Scavengers, 2001), sans oublier l'insomniaque Televise (2004). Aujourd'hui, Collisions change la donne et pourrait ouvrir le trio d'Aurelio Valle à un auditoire plus large. Car là où certains crieront à la trahison, voire à la traîtrise commerciale en poussant des cris d'orfraie, on ne peut que féliciter Calla d'avoir aussi radicalement arrondi les angles. Cette musique sue tellement la classe qu'elle fait passer une horreur attachante comme Interpol pour une bande-son idéale pour employés de pressing. De plus, elle recèle quelques capacités de consolation, par sa beauté formelle (tout ici est magnifiquement joué, pensé, accompli), son austérité de prime abord, le tout magnifié par une unité d'ensemble dont les petits marquis néo new-wave n'ont jamais eu la moindre idée. Des Collisions qui ouvrent de vastes horizons. (Magic)
Autant le dire tout de suite, ce quatrième opus de Calla apparaît bien fade, surtout si on le compare au précédent, "Televise". "Televise" était envoûtant, animal, d'une personnalité que "Collisions" peine vraiment à trouver. Il tenait en haleine l'auditeur, alors que leur dernier tient difficilement la longueur. Pourquoi ? Et bien on peut évoquer la modification du combo comme principale hypothèse. Le trio a évolué puisque, Sean Donovan (basse) parti, il a fallu le remplacer. Peter Gannon a pris la relève, mais il serait un peu facile de le désigner comme bouc émissaire, ce semi-échec est collectif. Aurelio Valle est toujours heureusement enroué mais il chante mieux et laisse moins traîner sa voix. Une évolution qui me laisse encore dubitatif, son chant perd trop en singularité. Puis, on ne peut que regretter que le jeu de Magruder à la batterie ait perdu de sa souplesse. Néanmoins, il serait malvenu de déclarer que les compositions sont navrantes ou sans intérêt. Elles sont juste, malheureusement, trop classiques, et on s'attendait à un peu mieux de la part de ces Texans. J'espère pour les Américains que cet album touchera un autre public, car si on oublie un instant "Televise", et bien "Collisions" devient un bon album. Trois bons morceaux s'extirpent (malheureusement trop facilement) de ce disque. L'épique et énergique "It Dawned On Me" convainc, un titre rock sans retenue, efficace, qui va de l'avant et qui pourrait permettre aux Américains de passer régulièrement sur les bandes FM. Une efficacité que l'on retrouve sur "Swagger", le combo arrive enfin à mettre au point ce qu'ils désiraient sans doute accomplir sur cet album : allier puissance et finesse. Sur "Overshadowned", Valle et ses complices retrouvent des vertus qu'on croyait oubliées : courage et marginalité. Le morceau bénéficie d'une montée en puissance très bien construite sans être surfaite. "Collisions" porte donc finalement assez mal son nom, les Texans rentrent plutôt sagement dans le rang.(Popnews)
La plupart des groupes ayant un minimum d'ambition attendent généralement d'avoir une assise médiatique suffisante et la bénédiction de la presse pour se permettre de prendre des risques. Il n'est pas étonnant que les trois Texans de Calla soient longtemps restés dans l'ombre, car leurs deux premiers albums (un éponyme en 1999 puis Scavengers en 2001) étaient absolument sans concessions. Très expérimentaux, ils formaient un dyptique d'une étonnante maturité, marqué par un style sombre et mystique, mais n'étaient pas vraiment à la portée du néophyte. Puis, las d'écumer les labels, le groupe se remit en question; le bassiste Sean Donovan (officiant également à la programmation des boucles) capitula et quitta la formation. L'aventure aurait pu se terminer ici, mais c'était sans compter l'ambition du chanteur Aurelio Valle, résolu à montrer que son groupe était capable de s'adapter aux exigences du public. Cette crise interne explique peut-être la curieuse évolution à contre-courant de Calla, qui dès lors se rendit plus abordable. Les tubes poisseux de Televise (2003) réalisaient un excellent compromis entre le Calla originel et un rock plus accessible, aujoud'hui personnifié en ce nouvel opus Collisions. Si Televise était un album de transition (quel mot péjoratif!), il avait l'intelligence de prendre ce qu'il y avait de plus intéressant de là où il venait et de vers où il se dirigeait, créant ainsi un panel de chansons d'une richesse inédite; en définitive, ce fut une opération de contre-espionnage sans bavure, montrant qu'on peut infiltrer un système établi (le rock populaire) pour mieux le pourrir de l'intérieur sans se laisser corrompre. Comble de malheur, ce genre d'entreprise reste bien souvent confidentiel et Televise n'a évidemment pas obtenu le succès qu'il méritait. Mais c'est quand on se fait prendre en flag' qu'on fait parler de soi. C'est d'ailleurs autour de ce point que les fans de la première heure auront tendance à axer le débat: Collisions est-il une reddition sous la torture (cf. le titre du disque), ou bien une trahison motivée par quelques liasses de billets verts ? On peut en effet parier que ce nouvel opus sera plus vendu que tous ses prédécesseurs réunis. Eloignons-nous toutefois de ce genre de considérations, et discutons plutôt la qualité intrinsèque de ces nouveaux morceaux. Ils sont tout simplement moins bons, et c'est là le drame. Si les quatre premiers titres sont des petites bombes de rock'n'roll, la suite est moins réjouissante. Certes, Aurelio Valle n'a toujours pas soigné sa laryngo-pharyngite ni épousseté la crasse de sa guitare, et c'est tant mieux, c'est le Calla que l'on connaît et que l'on souhaite voir inchangé. En revanche, Wayne B. Magruder s'est décidé à mener à vie dure à ses fûts; il développe sur Collisions un jeu très martial privilégiant la puissance à la finesse. Quant à la nouvelle recrue, le bassiste Jorge Gonzalez, eh bien on est en droit de se demander s'il est tout à fait blanc comme neige dans cette affaire... Des albums comme Kid A de Radiohead ont ouvert de nouvelles voies, fait exploser les frontières d'un genre étriqué qui ressasse péniblement les mêmes gimmicks depuis cinquante ans. Collisions a quelque chose de régressif dans le sens où il rentre effroyablement dans le rang. De manière presque choquante, Calla a choisi de se confiner dans un espace d'une superficie minuscule mais médiatiquement plus exposé, au lieu de respirer l'air pur de la liberté artistique. Dans cette cour, des centaines de groupes d'ados interchangeables se battent déjà pour capter la moindre parcelle de reconnaissance. Soyons clairs, Collisions est un bon album de rock et reste un brin marginal. Bien que la musique de Calla ne soit pas encore complètement dénaturée aujourd'hui, on éprouve la très désagréable sensation que le groupe se dirige inéluctablement vers la stagnation artistique ou une mort plus radicale: le split. (liability)